Paul d’Ortaffa (1745-1825) : un témoin capital du Roussillon à la charnière de deux mondes

Contributeur: Sylvain Chevauché.

Personnage méconnu aujourd’hui, Paul d’Ortaffa fut pourtant une des grandes figures de l’histoire du Roussillon, particulièrement durant une période essentielle : la Révolution française.

Paul dOrtaffa

Paul d’Ortaffa

Son parcours mérite d’être rappelé aujourd’hui et son portrait, récemment mis en vente à Barcelone, de prendre place parmi notre galerie d’ancêtres roussillonnais.

Il naquit en plein règne de Louis XV, à Perpignan, le 30 avril 1745.

A bien des titres il représente l’exemple même du gentilhomme de son époque, tel qu’on en voit tous les traits distinctifs sur son portrait : regard intelligent, rieur et badin mais perçant, moue dédaigneuse, délicatesse et simplicité de l’habillement accompagnée d’une croix de Saint-Louis rappelant la vocation militaire de la noblesse de province.

Issu de l’une des quatre ou cinq familles qui dominent le Roussillon, proche parent de toutes, il entre comme ses pairs dans la carrière des armes et il est présenté au roi en 1761. Il se distingue rapidement et, en 1779, est nommé mestre de camp d’infanterie et inspecteur général des Garde-Côtes du Roussillon avec rang de colonel.

La croix de Saint-Louis, plus haute décoration réservée aux officiers à l’époque, lui est accordée en 1786, date approximative du portrait. La noblesse fortunée est alors insouciante et rêveuse, bercée par les expéditions de La Pérouse et les découvertes scientifiques, très favorable aux idées nouvelles des Lumières qui parlent de liberté et de progrès. Talleyrand pourra écrire plus tard, en repensant à ces années-là : « Qui n’a pas vécu dans les années voisines de 1789 ne sait pas ce que c’est que le plaisir de vivre ».

Paul d’Ortaffa, comme c’est alors la mode dans les élites françaises, est initié à la Franc-Maçonnerie : dans la loge perpignanaise « Les Amis de la Parfaite Union », il côtoie les principaux médecins, avocats, libraires, musiciens et gentilshommes de la ville. Il fréquente assez souvent la cour de Versailles, ce qui est un privilège donné à peu de Roussillonnais : dans la correspondance de son proche cousin le marquis d’Oms, on apprend qu’il met à sa disposition de ce dernier son carrosse pour faire ce voyage, qui, à l’époque, dure plus de deux semaines.

madame-dortaffaPortrait de Marie de Ros (1747-vers 1787), épouse de Paul d’Ortaffa (collection privée) Morte à un âge précoce, à Paris, sans doute lors de l’un de ces séjours, madame d’Ortaffa laisse son mari avec deux enfants en bas âge.

Des inventaires postérieurs de l’intérieur de l’hôtel d’Ortaffa à Perpignan, hérité de ses ancêtres (situé entre la rue Lazare Escarguel et la rue des Fabriques d’en Nabot, actuellement l’une des ailes de la préfecture), permettent de découvrir un peu de leur intimité, et de la grande affection sans doute portée par Paul à sa seule fille après la mort de son épouse : la garde-robe de l’enfant est littéralement un magasin de couture, avec tout ce que l’on peut désirer de fil, d’étoffes, de robes et de chapeaux…

Portrait probable de Rose d Ortaffa née en 1770.

Portrait probable de Rose d Ortaffa née en 1770.

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L’année 1789 s’annonce pleine de promesses et aussi d’ombres : le 23 avril 1789, dans la perspective de la réunion des États-Généraux convoqués par le roi dans un royaume en crise, l’assemblée de la Noblesse du Roussillon élit Paul d’Ortaffa comme président, chargé de diriger les débats des diverses séances. Les commissaires chargés des cahiers de doléances se réunirent dans la demeure de M. d’Ortaffa pour les rédiger. Le 30 avril 1789, il prend la parole au nom de ses collègues au sein de l’Assemblée générale des trois États de la province de Roussillon et proteste contre la forme de convocation employée pour la tenue des États généraux et la prestation de serment des députés de la noblesse devant l’Assemblée générale, ce qui marque d’emblée une position conservatrice et sévère.

La nouvelle des événements d’octobre 1789 (marche du peuple sur Versailles, transfert du roi à Paris) scelle définitivement l’opinion portée par Paul d’Ortaffa sur la Révolution : contrairement à certains confrères favorables à une monarchie constitutionnelle, comme le marquis d’Oms, Paul d’Ortaffa décide immédiatement d’émigrer en Espagne, rappelle son fils de Paris, et se fixe à Barcelone où, soutenu de l’amitié et des conseils de Sartine, ancien ministre de Louis XVI, il reste jusqu’à l’époque du rassemblement de la noblesse française à Koblentz, dont le but est, à travers l’Armée des Princes, de restaurer la monarchie. Sur l’ordre émané des Princes, en 1793, il accepte de servir le roi d’Espagne Charles IV et reprend alors du service dans l’armée espagnole dont il est fait colonel. Toutefois, les années 1790 annoncent d’autres problèmes pour la famille d’Ortaffa. Depuis les lois de confiscation des biens des émigrés de 1792, toutes les propriétés roussillonnaises de Paul d’Ortaffa avaient été vendues comme biens nationaux, l’intégralité du contenu de l’hôtel particulier dépecé et vendu aux enchères. Ne disposant en Espagne que de petites économies et de sa solde d’officier, Paul d’Ortaffa entre dans une situation de quasi-indigence lorsque, grièvement blessé en 1794, il doit prendre sa retraite.

Malgré des titres honoraires accordés par le roi d’Espagne, et une pension modique, il ne réussit jamais à faire reconnaître ses services par le gouvernement français à l’époque de la Restauration. Revenu en Roussillon, sans doute pour y effectuer les longues et coûteuses démarches nécessaires afin d’obtenir une réparation, il meurt, à l’âge de soixante-dix-neuf ans, le 23 avril 1825.

Son inventaire après décès montre bien quel était alors son niveau de fortune. Dans un réduit qu’il occupait, donnant sur la petite place Bodin de Boismortier : une malle d’officier, des habits, quelques miniatures représentant sans doute les membres de sa famille proche. Son fils devait définitivement choisir le camp espagnol où il aurait à son tour une carrière militaire brillante, avant l’extinction de sa famille à la fin du XIXe siècle.

Paul d’Ortaffa est donc le représentant par excellence du passage d’un monde à un autre, d’une génération qui eut à vivre dans sa chair une des étapes les plus violentes et les plus essentielle de l’histoire humaine.

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