Première procession du Jeudi saint à Elne.

Le temps du Costume Roussillonnais a participé à la première procession du jeudi saint d’Elne, qui avait disparu depuis plus de 50 ans. Rejoignant l’appel de la Confrérie des saintes Épines de la paroisse perpignanaise de Saint Mathieu, co-organisatrice de l’événement, la procession a parcouru les rues de l’ancienne ville épiscopale. 

Texte lu par l archipretre de la cathédrale juste avant le départ de la procession: 

Elne, passions et résurrections

Les villes et les villages naissent, croissent, vivent leurs heures de gloire et de souffrance et meurent aussi comme les êtres humains ; ils renaissent parfois. La cité d’Elne n’échappe pas à ce destin commun. Plus ancienne ville du Roussillon toujours habitée, ses 3000 ans d’histoire sont liés à sa situation géographique, bâtie sur un promontoire, entre les terres occidentales de l’Europe et celles de l’Afrique, au confluent des Pyrénées et de la mer, sur le chemin qui suit cette Méditerranée, sur la voie Héracléenne et plus tard Domitienne. Qui dit lieu de passage, dit rencontres, mais aussi conflits. Elne sera marquée des deux faces de la même monnaie, jusqu’à aujourd’hui. Elne, héritière peut-être de Pyrène, les terres peu à peu asséchées des étangs voisins, les alluvions peu à peu déposées du Tech et des ruisseaux environnants rendront ta terre riche et nourricière. Les agriculteurs, depuis la préhistoire et les siècles Ibères, y tracent leur sillon dans les champs de batailles ; la charrue y ouvre la terre pour semer la vie et la paix sous forme de grains. Dans cette Antiquité qui lui donne du lustre, dans un IVe siècle déjà bien avancé, les temps chrétiens n’ont rien changé à la folie des hommes. Un prince fonce vers notre cité, Illibéris ; c’est un jeune empereur romain, il se nomme Constant ; il pense trouver refuge au pays de sa famille. Son père, le grand Constantin, le fils d’Hélène, y avait ici des fidèles ; sur l’oppidum se dresse une église, il s’y abrite, mais la barbarie n’a point de règle et Constant périra sous le glaive de ses bourreaux qui le traînent hors de l’édifice sacré. A la gloire romaine répond la douleur du régicide. Comme un habit de deuil ou plutôt un habit de gloire, Elne en portera le nom jusqu’à aujourd’hui. C’est d’Hélène que sera rebaptisée la cité. Hélène de Rome et de Jérusalem, Hélène des épines mais surtout Hélène de la croix, de la passion et de la résurrection. Illibéris devient le castrum d’Hélène. Deux siècles plus tard, du sang de Constant est né l’évêché d’Elne. Ici se dresse la Mater Ecclesiae, la mère des églises du pays du Roussillon. De son élévation elle domine la plaine, la mer et l’orgueil des hommes. Les seigneurs de ces terres catalanes sont depuis longtemps inféodés aux comtessouverains de Barcelone. Plusieurs siècles plus tard, dans les temps gothiques, le pays est riche, le commerce bat son plein, les îles lointaines de Majorque et les terres de València s’ajoutent au royaume ; mais voici que les luttes fratricides entre les rois catalans attirent la haine du roi de France. Même le pape de Rome décrète une croisade. Elne, fière et résistante, verra déferler sur elle la folie de Philippe III, le roi des épines, le roi du malheur. La ville détruite ! Les petits enfants fracassés sur les pierres ! Le feu partout, même à la cathédrale ! Depuis cette fin de XIIIe siècle, le vieil édifice roman en porte toujours les traces. Nouvelle douleur mais nouvelle espérance. Par l’esprit de l’abbé Oliba, le sillon du pagès dans les terres d’Elne n’en continuait pas moins à faire pousser la paix et la prospérité, mais à la sagesse des humbles répondait toujours l’incurie des puissants. Bien plus tard encore, à l’aube de la modernité, les murailles d’Elne défient toujours l’autorité des rois devenus ceux de Versailles, car ce lambeau catalan est aux mains des français. Les boulets de Condé et de Louvois viendront abattre les remparts de la cité d’Hélène ; non complètement, juste assez pour que nous ayons aujourd’hui une trace de sa grandeur passée. Nos aïeux, aux XVIIIe , XIXe et XXe siècles, si proches, si palpables encore, les ont côtoyées aux beaux jours toujours recommencés, lorsque les moissons et les vendanges réjouissaient les hommes, mais aux mauvais jours aussi lorsqu’un train maudit les emportait vers l’Alsace et la Lorraine. Cent trentesix d’entre eux périront par devoir, par abnégation, par innocence peut-être ; les autres et leurs familles viendront fleurir tous les ans leur mémoire devant la Pomone, la déesse des jardins et de la fécondité : femme, sage, puissante et ferme, dressée comme un menhir imperturbable dans son message de paix, face à la plaine. La vie des paysans contre la raison des généraux. Une perle douloureuse encore avant le renouveau des Années folles. Car tout n’était pas écrit dans la cité d’Hélène ; encore plus près de nous, dans les remous de l’histoire toute proche, l’ombre d’une croix gammée planait sur les esprits les plus placides. Des mauvais trains emportaient encore vers le Rhin les agneaux du sacrifice. Les vents de la guerre avaient fait échouer chez nous les parias de l’histoire. Elle s’appelait Elisabeth ; de l’insoumission de sa jeunesse elle protégeait au nom d’Hélène les plus fragiles. Une perle d’espérance pour tous ceux sauvés à la Maternité. Elne aux mauvais jours et aux beaux jours. La joie succède à la douleur. Les humbles et les puissants. Le fer de la charrue contre celui de l’épée. La gloire est au bout pour celui qui l’espère. Dans l’ombre d’Hélène. Dans la lumière de son Seigneur. La procession de ce soir empruntera les chemins de l’histoire d’Elne. La passion et la résurrection des Illibériens, de leur ville, de nos vies. Les épines d’abord et la sérénité, au bout.

 

Les membres du TCR en coiffes de deuil, devant la statuette de sainte Hélène et des épines de la couronne du Christ (provient du trésor de la cathédrale de Perpignan). 

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