L’Hôtel de CAMPRODON à Perpignan dans la rue du Théâtre.

 

L’état actuel des recherches dans les archives disponibles (principalement les fonds notariaux des Archives départementales des Pyrénées-Orientales) ainsi que la dénomination que Charles Stanislas L’Eveillé (1772-1833) donne à sa première représentation en pied dans son album de croquis datant de 1818, permettent de penser que cette maison fut la demeure de la famille Camprodon, l’une des principales familles perpignanaises sous l’Ancien régime.

Issue d’un marchand très riche, cette famille dont les fils reçurent au tout début du XVIe siècle, sous le règne de Charles Quint, le titre anoblissant de « burgès honrat » ou bourgeois-noble de Perpignan, produit plusieurs consuls de cette ville et s’allia aux principales familles de Catalogne des deux côtés des Pyrénées.

Les Camprodon possédaient deux demeures dans la rue des Juristes (actuelle rue du Théâtre), l’une de chaque côté de la voie, et la maison qui vraisemblablement peut être identifiée avec celle qui nous intéresse est attestée dans cette famille dès la première moitié du XVIe siècle. Plus tard dans ce siècle, à la faveur de différentes transactions avec d’autres héritiers, un fils Camprodon réussit à rassembler les différentes parties de cette demeure originelle qui avait été divisée. Elle se transmet ensuite directement de père en fils jusqu’au moment de la Révolution. La demeure est un lieu de festivités mondaines où le tout Perpignan de la noblesse se presse à l’époque du Comte de Mailly. 

En 1792, le propriétaire, Bonaventura de Camprodon (1738-1803), marié à Marie-Thérèse de Ponte d’Albaret, décida d’émigrer en Empordà. L’administration révolutionnaire saisit l’ensemble de ses biens, dont cette maison. Les archives des biens nationaux contiennent les procès-verbaux d’apposition des scellés avec inventaire du mobilier présent à ce moment-là, un plan du premier étage de la maison dessiné par l’ingénieur Margouët, et les procès-verbaux de vente aux enchères. L’inventaire laisse deviner un intérieur digne de la condition des propriétaires originels : mobilier de grande qualité (nombreuses glaces de bois dorés, des portraits, des meubles de style), passe-temps inspirés par la dernière mode de Paris (nombreux parfums et crèmes, machine à faire de l’électricité , invention très prisée à la cour de Louis XVI et développée par des savants…).

Au moment de la vente aux enchères révolutionnaire, la maison est divisée en quatre lots identifiés sur le plan de Margouet. Ils sont achetés par des propriétaires différents, issus de la petite bourgeoisie perpignanaise.

Deux observations peuvent être faites sur le bâti qui subsiste de nos jours.

Modifications d’ensemble de la structure : Grâce au plan révolutionnaire de 1792, on découvre que la maison était beaucoup plus grande (2 à 3 fois) que l’ensemble qui appartient aujourd’hui au Conseil départemental (appelons-le lot n°1), puisque la partie Sud, donnant sur la rue de la Fusterie (où se trouvaient la salle à manger et des chambres), a été vendue en deux lots (2 et 3) et fut détachée de l’hôtel originel. De même pour la partie Ouest (lot 4), elle était jadis composée d’une aile où se trouvait le grand escalier et qui donnait sur un pâtis ou jardin (sans doute jardin suspendu), le tout étant aujourd’hui remplacé par un immeuble de style XIXe siècle où se trouvent une petite cour intérieure créée de toutes pièces et, au rez-de-chaussée, une boutique de décoration. La construction de l’immeuble, avec sa propre cage d’escalier XIXe, a rendu nécessaire la destruction de l’ancien Grand escalier (dont le plan 1792 montre qu’il était d’une ampleur extraordinaire), auquel on accédait par une immense ouverture (aujourd’hui murée et contenant une fontaine) donnant sur la cour. Il ne subsiste aucune trace de ce grand escalier. Par conséquent, les anciennes fenêtres à l’Ouest de la cour, qui éclairaient l’escalier et, au premier étage, une chapelle également détruite, ont toutes été murées, ce qui rend le mur entièrement aveugle.

L’ensemble possédé par le Conseil départemental (lot n°1) s’étant retrouvé sans escalier propre, il a fallu, sans doute au tout début du XIXe siècle, en construire un, sans commune mesure avec l’ancien, qui se trouve immédiatement à gauche en entrant dans l’immeuble et qui dessert les différents étages. En raison de toutes ces transformations, l’économie générale de la demeure (circulation dans les grands appartements du premier autour de la cour intérieure à partir du grand escalier) est donc difficile à imaginer.

Il y a toutefois des parties subsistantes ou à retrouver. L’organisation actuelle des pièces traduit également de profondes modifications par rapport au plan du XVIIIe siècle. L’observation attentive des murs, cloisons, plafonds, locaux à électricité, greniers et dégagements, montre que la hauteur des pièces du premier étage, particulièrement celles se situant au Nord, dans l’aile donnant sur la rue du Théâtre, a été rabaissée, peut-être de moitié, par des faux-plafonds, donnant jour à une sorte d’entresol qui n’est cependant pas le même sur l’ensemble du bâti, puisque les pièces situées à l’Est de la cour avaient peut-être déjà été, au XVIIIe siècle, rabaissées (en témoigne la seule pièce subsistante avec son décor Louis XVI, plus basse).

On peut imaginer que la construction originelle, datant du XVIe siècle, comprenait une grande salle faisant 5 voire 6 mètres de hauteur sous plafond, occupant quasiment toute la largeur de la façade rue du Théâtre. Du moins un local à électricité accessible par l’escalier actuel montre la subsistance d’une partie d’un beau plafond à caissons en bois du XVIe siècle qui devait être celui de la grande salle.

Des travaux (sondage au-dessus des faux-plafonds et leur éventuelle destruction) permettraient de dire si l’ensemble du plafond à caissons originel peut être retrouvé. L’état correct de la partie subsistante permet de beaux espoirs de ce côté. Dans un local du même type ou grenier situé à l’Est de l’escalier, toujours au niveau entresol, on voit également les restes d’un beau plafond à moulures XVIIIe siècle et de fresques peut-être contemporaines (1 mur 1⁄2 sur 3 visible), qui montre qu’une autre pièce divisée de nos jours en plusieurs, sans doute salon de réception, contiguë et de hauteur égale à celle de la grande salle, existait toujours avant la Révolution.

Le deuxième étage semble avoir été également, dans le bâti originel, d’une hauteur beaucoup plus importante que celle qu’il a aujourd’hui. Dans les combles, on voit de façon tout à fait évidente l’appareil originel de la façade principale donnant sur la rue du Théâtre, fait en briques disposées « en arête de poisson ». Le plancher des combles, en bois ancien, coupe les fenêtres de la façade aux 3⁄4 de leur hauteur, ce qui accrédite l’hypothèse que le deuxième étage avait déjà été abaissé au XVIIIe siècle, sans doute pour augmenter l’espace habitable et y loger des domestiques. Cependant, plusieurs espaces sont aujourd’hui encore conservés dans un état proche de l’état antérieur à la Révolution.

La façade donnant sur la rue du Théâtre (pour l’ensemble possédé par Conseil départemental) paraît avoir peu changé : la suppression d’une fenêtre du XVIe siècle à encadrement de marbre, pour la remplacer par deux baies, supprimant une colonne au passage, date sans aucun doute du XVIIIe siècle. La décoration de la porte d’entrée (portail en marbre, en haut duquel se trouvait un blason détruit à la Révolution ; pilastres cannelées) et de l’ensemble de la façade (deux voire trois ordres de pilastres superposés) est un exemple superbe et unique en son genre.

La cour intérieure, à l’exception du mur Ouest aujourd’hui aveugle, possède encore ses splendides encadrements en marbre rose de Villefranche (2 arches Ouest et Sud, une dizaine de fenêtres) et son puits, dont l’emplacement était le même sur le plan de 1792. Les caves conservent leurs voûtes gothiques en brique, comparables aux autres voûtes des caves du vieux Perpignan, et qui n’auront sans doute jamais été modifiées depuis la construction de la maison, un bâti identique s’observe dans le sous-sol de l’immeuble formant le lot n°4 (actuellement boutique de décoration).

Au premier étage, une seule pièce conserve son décor XVIIIe siècle à peu près intact : donnant sur la cour intérieure, située à l’Est, communiquant avec le palier de l’actuel escalier XIXe siècle, cette pièce a son plafond et ses murs moulurés ainsi qu’une cheminée Louis XVI grise. Selon le plan 1792 il s’agissait d’une chambre, dont l’alcôve a cependant été détruite. Derrière cette chambre, un très petit couloir (à l’usage des domestiques) est encore conservé dans l’état et la disposition exacts qu’il avait à la Révolution.

Une restauration attentive permettrait donc sans aucun doute de retrouver au moins deux pièces du bâti originel, cachées aux XIXe et XXe siècle par des modifications fonctionnelles mais sans doute jamais détruites : la grande salle, qui mériterait d’être rétablie dans sa hauteur originelle avec son plafond à caissons, et le salon de compagnie attenant avec son plafond XVIIIe siècle et ses fresques. A quoi il faut ajouter la chambre à la cheminée Louis XVI pour laquelle peu de travaux seront nécessaires. Cela concerne en définitive essentiellement l’aile principale, celle qui donne sur la rue du Théâtre.

Ces modifications entraîneraient la suppression d’entresols dont l’utilité n’est pas absolument évidente. Cependant, quelque utilité que cet immeuble adopte dans l’avenir, il ne paraît pas nécessaire de rendre au second étage un illusoire état originel qui semble déjà avoir été supprimé au XVIIIe siècle, et les pièces qui s’y trouvent pourraient simplement garder leur aspect pratique et fonctionnel. Ainsi, en alliant destructions sélectionnées et conservation d’un bâti postérieur, pourrait-on rendre une partie de sa splendeur à ce qui est sans conteste l’une des plus remarquables demeures perpignanaises.

Sylvain Chevauché, archiviste paléographe

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