Danses à Perpignan sous la Restauration

danses catalanes en 1830, la pleine apogée du costume traditionel catalan

danses catalanes en 1830, la pleine apogée du costume traditionel catalan

Perpignan conserve des traditions identiques aux villages du Roussillon et la danse catalane y est honorée à sa juste valeur. « A la lueur de quatre torches fumantes, que portaient quatre joyeux petits polissons, au grand regrets de plusieurs autres, qui convoitaient cet insigne honneur, j’aperçu cinq ou six artisans marchant sur une seule ligne, portant une ganse blanche de rubans à leur chapeau et une rose à la boutonnière, et derrière eux cinq musiciens jouant d’une espèce de hautbois, le sixième enflant la cornemuse(1), et un septième qui tirait des sons aigus de son galoubet, et frappait en cadence un petit tambourin avec une baguette d’ébène. A cette vue l’allégresse se manifesta de toute part. Un murmure de satisfaction se fit entendre, et chacun se précipita vers l’enclos que gardait un détachement des troupes de la place. Quatre réverbères et plusieurs quinquets éclairaient cette enceinte, dont la vue était tout à fait pittoresque, sa forme était elliptique, de longs pieux plantés à de petits intervalles, soutenaient des festons de verdure entrelacés de guirlandes de fleurs. Un large frontispice, pareillement en verdure, donnait accès à ce joli temple de Terpsichore, et de nouvelles guirlandes, qui partant du haut de chaque pièce, allait se réunir en un seul faisceau à une certaine élévation, de la manière la plus élégante. Une estrade élevée avait reçu les juglars, ou jongleurs, car ces musiciens conservent ici ce nom. Ils commencèrent à jouer l’air du contrapas qui est une danse d’hommes. Je vis tous les danseurs disposés en rond, se tenir par la main, à l’exception de ceux de l’extrémité, qui étaient les conducteurs de la danse, faire quelques pas de coté, revenir en faire autant de l’autre, et pendant dix minutes, exécuter cette espèce de danse avec un certain pas appelé l’Espardanyeta, et qui n’est pas sans mérite. C’est un battement très rapide du talon contre le coude-pied. Dans les villages j’ai vu danser le contrapas par des personnes des deux sexes, à Perpignan les femmes en sont exclues, et je ne sais pourquoi. Une danse, qui ne ressemble à aucune des danses européennes, succède presque toujours dans le Roussillon aux balancements mélancoliques du grave contrapas. On la nomme le Ball. Elle offre réellement le tableau de la correspondance de deux cœurs épris. On y voit les aimables poursuites, les petites agaceries, les feintes jalousies, tout ce charmant manège qui ajoute tant de prix à la félicité. Un amant veut captiver une belle, ou une belle veut fixer un amant : il la cherche, elle l’évite, il papillonne, elle coquette, il revient, elle fuit, mais légèrement, pour être poursuivie. Il la retrouve, elle veut échapper, mais vainement ; bientôt d’accord, ils se rejoignent, et le couple est uni. Telle est l’interprétation que l’on doit donner aux passes de cette danse, qui aurait fournie à Gessner le sujet d’une charmante idylle, en voici la description chorégraphique : des cavaliers font quelques pas avec leurs dames, se tournant ensuite face à face, la dame recule en rond et le  danseur la suit en faisant quelques pas, du nombre desquels est la cama-rodona, c’est un saut pendant lequel il doit passer son pied droit par-dessus la tète de la danseuse. Après avoir recul quelques instants, celle-ci revient, et court après le cavalier qui recule à son tour, et ils changent alternativement de danseur et de danseuse : la même figure se répète deux ou trois fois, enfin, deux ou plusieurs couples se joignent, se réunissent en cercle, et les dames, plaçant à droite et à gauche leurs mains sur les épaules des cavaliers qui sont à leurs cotés, s’élèvent en l’air, pendant que les danseurs la poitrine en avant, les jarrets tendus, pour faire arc boutant, contre terre, et les bras soulevés, les soutiennent dans cette position ou ordinairement elles s’embrassent. La vue de toutes ces femmes enlevées tout à coup et simultanément de terre, et dominant ainsi sur tout le reste des spectateurs a quelque chose qui frappe singulièrement quand on le voit pour la première fois. Souvent à la ville et presque toujours à la campagne, le saut par bandes est précédé ou remplacé par un saut à deux, c’est celui qui surprend le plus les étrangers. On aime à voir une jolie personne dans cet espèce de triomphe. Il est curieux de suivre les mouvements de la danseuse, quand, s’avançant rapidement vers le cavalier, elle place sa main gauche dans la droite qu’il lui tend : un triple élan est donné à ces deux mains réunies, et la danseuse, raidissant son bas gauche, et s’appuyant fortement de la main droite sur l’épaule du cavalier, s’élance pendant que celui-ci la soulève et l’assied sur sa main. Il fait deux ou trois pirouettes avant de la remettre à terre. On dit qu’il y a moins de force que d’adresse dans l’exécution de ce saut, cela doit être, puisqu’on voit des hommes d’une force très médiocre enlever ainsi très légèrement des femmes assez replètes. Les danses catalanes s’exécutent assez souvent au bruit des castagnettes qui se mêlent au son de la cornemuse et des hautbois, et rendent le rythme encore plus animé. Ces danses si pittoresques, constituent une partie du revenu des églises, lorsqu’on les célèbre dans chaque paroisse, à l’époque de la fète patronale. C’est dans ces occasions  que se montre en entier la gaité du caractère national. Les jeunes Catalanes, ou Roussillonnaises, en augmentent le charme, leurs beaux yeux bruns, des tailles avantageuses, des formes dessinées avec grâce, une aimable vivacité, font surtout remarquer ces élégantes danseuses, prises dans toutes les classes de la société, et réunies par le plaisir dans ces fêtes si différentes de celles que l’on voit à l’intérieur de la France(2). » Parmi ceux qui y participent, il y eut tantôt des gens du peuple, sous le « costume national, c’est à dire portant le long bonnet rouge dont le bout flottant tombe sur les épaules, une veste et un pantalon de velours, une ceinture rouge et des espadrilles aux pieds »; tantôt de jeunes élégants qui, « sous une veste légère, apportaient dans ces danses la grâce des salons(3). » On apprend aussi que « Dans le jour, les danses ne sont guère suivies que par les personnes du peuple qui bravent la chaleur du soleil. La jolie artisane ne commence à danser que lorsque la fraicheur de la nuit rend cet exercice moins fatiguant. La beauté de la danse catalane consiste, pour les femmes, à savoir reculer légèrement, sans sauts et sans secousses, il faut qu’elles coulent, pour ainsi dire, sur la pointe des pieds, et sans faire des pas. Les mains au tablier, et la tête un peu sur le coté, pour voir le chemin rétrograde qu’elles ont à parcourir en rond, elles tournent mollement, quoique avec rapidité, autour du centre libre de l’enceinte, et il y a infiniment de grâce dans ce mouvement. Le spectateur les voit passer, repasser, et comme voltiger devant lui ; soit que dans une fuite équivoque elles imitent le papillon qui feint d’éviter l’Amour, soit que d’un pas précipité, elles poursuivent le cavalier qui semble vouloir s’échapper à son tour. La danse catalane telle que je viens de vous la décrire est celle que l’on exécute à Perpignan. Dans les villages, où le contrepas est dansé par les hommes et par les femmes, on conserve un usage qui s’est perdu à la ville. La file des femmes est conduite par deux hommes portant à la main un vase en verre à plusieurs goulots très étroits, et ornés de longs rubans. Ce vase qu’on appelle almuratxa(4), est rempli d’eau de rose et dans certains moments, les conducteurs de la danse, les secouant sur la file des danseuses, en font tomber sur elles quelques gouttes, en manière de pluie très fine. Dans certaines fêtes villageoises, ce sont les pavordessas qui ouvrent cette danse à l’issue de la grand’messe. On appelle pavordesses quelques jeunes filles chargées de prendre soin de la chapelle de la Ste Vierge, et qui en sont comme les marguillières : ce sont toujours les plus jolies du village. Un petit panier de fleurs à la main, elles ne manquent jamais d’aller quêter pour la chapelle, à l’heure du diner, dans les maisons ou se trouvent des étrangers. Ces Pavordesses commencent à danser seules en tournant autour du cercle, elles choisissent elles-mêmes leur cavalier, ce qui est un grand honneur pour celui qui obtient cette aimable préférence. La danse catalane est annoncée par une promenade de jutglars dans toutes les rues, c’est ce que l’on appelle le passa-villa. Au village les baills ne se payent pas à chaque fois, et danse qui veut. On voit souvent dans les grandes réunions, douze à quinze cent personnes sautant à la fois : ce tableau est vraiment magique. A la campagne on exécute encore une danse plus vive et plus animée, et qui finit aussi par l’enlèvement de la danseuse sur la main du cavalier. C’est celle qu’on appelle les Segadillas. Les airs en sont très courts et très précipités. Il faut beaucoup d’agilité, de vitesse et de légèreté pour la danser en mesure. La danse catalane, ou comme on le dit ici, les danses, ont lieu annuellement dans toutes les communes du Roussillon. A Perpignan, on les exécute aussi, sur le terrain de chacune des paroisses, quand leur fête arrive, mais avec quelques différences. Au village, on danse tout bonnement sur la place publique ; à la ville, c’est au centre d’un enclos de verdure qu’on prépare exprès.»

Le ball commence par une espèce de promenade autour de l’enceinte, chaque cavalier tenant sa dame sous le bras ; puis il la quitte, et part à reculons devant elle, tandis qu’elle le suit : bientôt elle recule à son tour, et c’est le danseur qui court après. Ensuite ils exécutent avec d’autres couples une espèce de chassez croisé(5). »

Les danses démontrent l’agilité des danseurs, «quelques uns, les bras élevés, la tête penchée en avant, exécutent un battement rapide du talon contre le coude-pied, qu’on appelle espardegneta, et qui ne laisse pas d’être difficile. D’autres prennent la main de leur danseuse, bondissent en tournant sur eux-mêmes par-dessus cette main, c’est ce qu’ils nomment la camarodona, les plus lestes prétendent même passer leur jambe par-dessus la tête de la danseuse, mais j’avoue que je n’ai pas été témoin de ce tour de force. Par contraste avec tout ce mouvement masculin, les femmes quittent à peine la terre, elles glissent pour ainsi dire d’un petit pas si doux, qu’elles ont l’air d’être sur des roulettes. Ainsi un vieux proverbe catalan dit qu’une bonne danseuse doit pouvoir porter sur sa tête un verre plein d’eau sans en renverser une goutte.» Les danses sont autant de réjouissances quelles sont accompagnées d’une buvette ou le vin est servi dans des porrons, ce qui évite l’usage de verres. «L’engagement des musiciens comprend les rafraîchissements à discrétion, et ils trouvent le temps d’en user largement. On les voit s’emparer de la cruche à large panse et à long goulot qu’on a soin de leur tenir toujours plaine, et l’élevant de toute la longueur du bras, ils en font tomber le contenu dans leur bouche ouverte, avec un petit bruit de cascatelle tout à fait réjouissant.»


1 Note dans le texte : « la cornemuse s’appelle en catalan Sac de gemechs, sac de gémissements. »

2 Du Mège, (A.), Statistique générale des départemens pyrénéens, ou des provinces de Guienne…, Toulouse, 1830, p.385-386. La description est due à Dominique Marie Joseph Henry.

3 Henry, D.M.J., « Danses catalanes exécutées en présence de S.A.R. Madame, duchesse d’Angoulême », ed. Tastu, Perpignan, 1825, p.19.

4 Marancha dans le texte.

5 Tastu, (A.), « Les danses roussillonnaises, lettres d’une vieille femme à une jeune fille », Alpes et Pyrénées, arabesques littéraires, Paris, 1842, p.369-376.

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