Le grenat, une pierre aux facettes un peu catalanes.

Le grenat, une pierre aux facettes un peu catalanes.

Par Maurice Courtet
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Le théâtre de l’Archipel à Perpignan. A gauche, la salle de spectacles “Le Grenat”.
Photo : Thierry Llansades (Flickr)

“Grenat catalan” ou “des Pyrénées-Orientales”, mais encore “bijouterie roussillonnaise” : tout ceci peut paraître bien confus pour qui n’habite pas cette partie du sud de la France, d’autant plus que dans l’esprit de nombre d’entre nous, les Catalans sont… espagnols. Quant au Roussillon, on a bien du mal à en définir les contours exacts. Tout devrait à peu près s’éclaircir en se penchant brièvement sur le passé tourmenté de cette région, parfois malmenée par l’histoire.

Selon les spécialistes de l’étymologie le mot Roussillon provient de Ruscino, ancienne capitale administrative ainsi nommée lorsque les Romains s’y installèrent entre 71 et 45 avant J.C. Cette localité correspond à l’actuel bourg de Château-Roussillon, situé à quelques kilomètres de Perpignan. Le nom existait bien avant l’arrivée des Romains sous la forme de Rouskino; certains étymologistes lui attribuent alors une origine ibère, basque ou encore phénicienne. Au fil des siècles le nom a évolué en “Ruscilona” puis “Rosilona” avant de prendre l’orthographe que nous lui connaissons aujourd’hui. Le “comtat de Rosselló” (comté du Roussillon) tiendrait ses origines de l’époque des Wisigoths entre le Vème et le VIIIème siècle. Il aurait été anéanti par les Arabes en 721 pour enfin renaître sous la dynastie des Rois Carolingiens qui repoussèrent les envahisseurs. Il deviendra ensuite tour à tour possession de la dynastie d’Empuries au Xème siècle, celle du Roi Alphonse II d’Aragon en 1172… puis changera plusieurs fois de nationalité, tantôt française, tantôt espagnole, pour enfin arriver à un moment charnière de son histoire. En effet, lors de la fusion des couronnes d’Aragon et de Castille, les Catalans, s’estimant lésés, se révoltent contre le gouvernement central en 1641. Face à l’imminence du danger, la Generalitat de Catalogne demande alors de l’aide à Louis XIII dont le ministre n’est autre que le manipulateur Cardinal de Richelieu qui va profiter de l’occasion pour annexer le Roussillon (qui est la désignation spécifique de la plaine dans l’actuel département des Pyrénées-Orientales). Cependant l’annexion ne sera définitive qu’après la signature du traité des Pyrénées par Mazarin en 1659, elle inclura également le Vallespir, le Conflent et le Capcir. Cette partie du nord de la Catalogne devient donc française et ses habitants garderont leur nom de Catalans.

Ce passé marqué par l’instabilité a peut-être donné aux Catalans une forte volonté de rattachement à des repaires identitaires. Le drapeau “sang et or”, qui est aussi celui de la Catalogne espagnole, est exhibé fièrement lors de diverses manifestations, culturelles ou sportives. Une chaîne de télévision française diffuse, lors du “décrochage” régional du samedi, des émissions en langue catalane… jusqu’aux bijoutiers qui se sont distingués en produisant un artisanat caractéristique des Pyrénées-Orientales dans lequel le grenat est largement utilisé. Espérant que ces précisions permettront d’éclairer la lecture du texte, nous pouvons en venir au sujet qui nous intéresse.

Le grenat est bien représenté dans la chaîne pyrénéenne, et tout particulièrement dans le département des Pyrénées-Orientales. En 1927, le bijoutier perpignanais Joseph Charpentier (1884-1968) exprimait son attachement pour ce minéral en des termes qui illustrent bien la forte identité catalane que l’on vient d’évoquer : “Le grenat, rouge comme le sang généreux des fils du Roussillon, est enchâssé dans l’or brillant de notre beau soleil…”. Près d’un siècle après cette proclamation enflammée, en octobre 2011, le théâtre de l’archipel est inauguré à Perpignan. L’éloge du bijoutier n’a pas été oublié : il a été choisi pour être inscrit à de multiples reprises sur le mur extérieur d’une salle de spectacles du théâtre. La conception audacieuse de l’édifice est le fruit du travail confié au bureau d’étude de Jean Nouvel, l’une des stars de l’architecture internationale. Quant à la salle de spectacles, elle évoque la forme et la couleur d’un cristal de grenat légèrement aplati et le nom de ce minéral lui a été donné.

Le choix du grenat ne doit rien au hasard, car il a marqué de son empreinte l’histoire des Catalans. En effet, dès le XVIIIème siècle et surtout à partir des années 1850 les Catalanes, qu’elles soient employées de maisons ou épouses de notables, portent des bijoux ornés de la pierre écarlate. Aujourd’hui une manufacture du grenat est installée dans la ville de Prades; la ville de Saint-Cyprien a son boulevard de l’Almandin où l’un des meilleurs restaurants de la région répond à ce même nom. De même à Perpignan, une résidence “l’Almandin” se dresse fièrement Boulevard du Parc des Expositions, et un Institut du Grenat œuvre à la promotion de la gemme depuis 2009…

On a beaucoup écrit sur le grenat de Perpignan, dans la presse ou dans des ouvrages qui lui ont été consacrés, abordant sa taille si particulière qui le distingue des autres gemmes, jusqu’à la place privilégiée qu’il occupe au sein de la bijouterie locale. Si bien que nous pouvons nous demander ce qu’il reste encore à dire. Pourtant, face à l’intérêt que les Catalans portent à leur pierre fétiche, nous devons rappeler que le grenat était déjà apprécié depuis fort longtemps lorsqu’il a pris une place importante dans la bijouterie roussillonnaise.

Nous allons donc nous intéresser à cette pierre en la situant au sein de la grande famille des minéraux, en décrivant ses variétés, ses emplois au fil des siècles, pour revenir enfin sur les divers aspects du grenat dans les Pyrénées-Orientales.

 

PIERRES FINES ET PIERRES PRÉCIEUSES

Le terme de pierres précieuses peut conduire à la confusion en laissant supposer qu’il s’agit là des seules gemmes d’une grande rareté, inégalables dans leur beauté. A fortiori, il entretient le doute concernant les autres pierres qui se caractériseraient par leur abondance et des qualités plus incertaines. En fait, seuls le diamant, le rubis, le saphir et l’émeraude sont rattachés au titre prestigieux de pierres précieuses, alors que d’autres pierres répondant aux conditions pour être montées sur des bijoux peuvent être beaucoup plus rares que leurs illustres compagnes et présenter parfois des qualités esthétiques de tout premier ordre. Citons la tsavorite, variété de grenat rencontrée seulement dans quelques gisements du Kenya, de Tanzanie et du sud de Madagascar, dont le vert et l’éclat n’ont rien à envier à ceux de l’émeraude dont elle peut, par ailleurs, posséder la dureté (7,5). Citons également le spinelle rouge, qui n’appartient pas à la famille des grenats, mais qui illustre parfaitement l’arbitraire de la classification : jusqu’à la fin du XIXème siècle et faute de disposer d’instruments de mesure suffisamment précis, il a souvent été confondu avec les plus beaux rubis. Ainsi le fameux “Rubis du Prince Noir” serti dans la couronne de Grande Bretagne et admiré depuis des siècles pour sa couleur magnifique, s’est révélé être un spinelle… Pour des raisons commerciales où les à priori ne peuvent qu’être soulignés, il a été décidé que quatre pierres remplissaient les conditions justifiant l’appellation de pierres précieuses. Quant au grenat et autres relégués de la grande famille des gemmes, il a été convenu que nous leur accorderions l’appellation de pierres fines. Le propos n’est pas de contester l’adjectif “précieuses” accordé aux heureuses élues, mais de se questionner sur les raisons qui ont conduit à considérer que nulle autre gemme ne puisse accéder à ce label tant convoité.

 

UN PEU D’HISTOIRE

Les pierres ont largement contribué à l’essor de l’homme, du premier silex taillé qui lui a permis de se défendre contre les prédateurs et de subvenir à ses besoins alimentaires, jusqu’à la maîtrise de l’atome issue du minerai d’uranium. Loin de se limiter à un rôle strictement pratique, elles ont rapidement acquis une dimension spirituelle et séduit l’être humain. Ainsi, dans la poursuite de leur conquête, elles devinrent talismans lorsque que l’un de nos lointains aïeux, ramassant un caillou aux couleurs attrayantes fut admiratif devant tant de beauté et lui attribua des vertus magiques. L’homme a aussi pris en compte le plaisir qu’il éprouvait en embellissant son corps de bijoux et en confectionnant des objets ornés de pierreries parfois chargés d’une symbolique religieuse. Parmi les pierres qui ont suscité un vif intérêt de la part de nos ancêtres, le grenat a très tôt occupé une place privilégiée.

Une pierre “royale”

A l’époque des Pharaons, les Égyptiens se paraient de bijoux, colliers et amulettes confectionnés à partir de pierres, parmi lesquelles des grenats, récoltées dans les gravières de Haute-Égypte. Plus tard, aux époques hellénistique et romaine, influencés par les échanges avec l’Egypte et l’Asie occidentale, les grecs affirmèrent leur goût pour les bijoux sur lesquels le grenat occupait une place de choix.

De même, la période située entre la chute de l’empire romain d’occident (476) et le haut moyen âge, vit se développer un style de joaillerie pour lequel cette pierre fût abondamment utilisée, particulièrement en Europe Occidentale. Ainsi entre 1953 et 1976, lors des fouilles archéologiques entreprises dans la basilique Saint-Denis à Paris, lieu d’inhumation des Rois de France, dans une nécropole renfermant des tombes datées du Vème au VIIème siècle, de nombreux bijoux ornés de grenat ont été trouvés. Des analyses effectuées par le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France sur 369 pierres montées sur 12 objets d’orfèvrerie ont révélé qu’il s’agissait essentiellement d’almandin de provenance indienne. En 1959, lors de ces mêmes fouilles, le sarcophage de la reine mérovingienne Arégonde (ou Arnegonde) fut mis au jour; elle était l’épouse de Clotaire Ier (511-561) fils de Clovis. Parmi les objets ornés de grenat déposés aux côtés de la reine figuraient deux broches, une plaque de ceinture en argent et or et deux fibules, ce qui confirme le prestige dont la pierre bénéficiait auprès des têtes couronnées.

Le grenat fut également apprécié sous la dynastie des Carolingiens, comme le confirme le talisman de Charlemagne inclus dans le trésor de la cathédrale de Reims et conservé depuis 1919 au palais du Tau. Sur le chant et les faces du bijou, figurent des grenats. Selon la tradition, le talisman avait accompagné l’empereur lors de son inhumation, en 814, à Aix-la-Chapelle et a été retrouvé lors de l’exhumation du corps en 1166.

Plus proche de nous, une salière taillée dans un grenat almandin a appartenu à Louis XIV ; elle porte le numéro 8-28 de l’inventaire de 1791 et fait partie du trésor de la galerie de minéralogie du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris. De même, “L’aigle de Pologne” appartient aujourd’hui aux collections du musée du Louvre. D’après son style de décor, les experts s’accordent à dire que ce bijou a été fabriqué à Paris au XVIIème siècle. Il figure l’aigle du Blason de la Pologne et symbolise aussi les liens privilégiés que la France entretenait avec les Rois de ce pays. Outre les perles et rubis qui ornent le bijou, un important grenat taillé à facettes et en forme de goutte d’eau inversée a été serti pour représenter le corps de l’oiseau de proie. Louis XIV aurait acheté ce joyau vers 1670 suite au décès de Marie-Louise de Gonzague, épouse du Roi de Pologne Jean-Casimir réfugié à Paris après la perte de son trône.

C’est aussi sous le règne de Louis XIV que le trésor du Roi Childéric 1er (436-481), fils de Mérovée (qui laissa son nom à la dynastie des Mérovingiens) et père de Clovis, intégra les collections royales de France. Le trésor fut découvert dans une tombe en 1653 lors de travaux effectués à proximité du cimetière qui jouxtait l’église Saint-Brice à Tournai, ville belge qui était gauloise sous le règne de Childéric. Parmi l’important mobilier funéraire mis au jour, des bijoux et des objets d’orfèvrerie en or étaient ornés de cloisonnés en grenat. Sur un anneau en or figurait l’inscription : “Childerici Regis” (du roi Childéric). L’archiduc des Pays-bas devint le dépositaire du trésor jusqu’à sa mort en 1662, puis il revint à Léopold 1er de Habsbourg qui l’offrit à Louis XIV en 1665. Les fameuses abeilles dites de Childéric, aux ailes serties de grenat, initialement au nombre d’une trentaine (Kanzanski M, Périn P. 1988) et non de 300 comme il est parfois avancé, faisaient partie de l’inventaire. Hélas ces dernières furent volées en 1831, avec la plupart des autres objets, et seulement 2 furent retrouvées… dans la Seine. Elles sont aujourd’hui conservées au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale de France.

Il est impossible de dresser une liste exhaustive des bijoux prestigieux et autres pièces d’orfèvrerie ornés de grenat, comme des croyances qui y sont attachées, tant les exemples sont nombreux et divers. Cette pierre a toujours fait l’admiration des hommes. Etait-elle un présent des dieux à la terre? Dans l’antiquité, les Grecs n’hésitaient pas à enseigner que d’aussi beaux cristaux étaient certainement des gouttes de sang de divinités tellement condensées qu’elles ne pouvaient plus reprendre la consistance liquide.

Des écrits en sanscrit de l’Inde ancienne donnent au grenat le pouvoir de protéger du démon. Des tribus indiennes d’Amérique du Sud et du nord en ont fait une pierre sacrée.

D’autres croyances populaires lui attribuent divers pouvoirs, dont ceux de favoriser la fidélité, de conduire à la prospérité ou encore de guérir les blessures et les effets du poison. Selon un manuscrit du XIIème siècle, cité par le minéralogiste américain George Frederick Kunz (1856 – 1932) dans “The curious lore of precious stones”, publié en 1913 : “Une image de lion bien représenté, si elle est gravée sur un grenat, protège et préserve la santé et les honneurs, guérit toutes les maladies du porteur, lui apporte des honneurs supplémentaires et l’immunise contre tous les dangers lorsqu’il voyage”

Symboles de pouvoir et de richesse, mais aussi lien permettant d’établir un pont entre le concret et l’indicible, les bijoux ornés de pierres, et notamment de grenat, ont souvent accompagné l’homme jusque dans l’au-delà. Moyen d’exorciser la mort, ils représentent la beauté, l’inaltérable, l’éternité, sur lesquels le temps n’a pas de prise, et perpétuent l’identité des disparu(e)s par-delà même leur existence terrestre. Au fil du temps, le port et la possession de bijoux ont perdu une partie de leurs fonctions, même s’ils ont conservé leur pouvoir d’attraction du fait de leur beauté et de leur valeur.

Mais avant de nous pencher sur la place occupée par le grenat dans les Pyrénées-Orientales, donnons quelques précisions concernant la description de ce minéral.

 

DES ÉLÉMENTS TECHNIQUES

Le naturaliste Pline l’ancien (23-79 après Jésus-Christ) donnait au grenat almandin le nom de “carbunculus” (charbon ardent) du fait de sa couleur rouge vif. Quant au nom “grenat”, il fut utilisé pour la première fois par le philosophe et théologien allemand Albert le Grand (1193-1280) et sa racine latine provient de “malum granatum” (pomme à grains ou grenade pour la couleur) et “granum” (grain) pour la forme des cristaux.

Par habitude, ou pour des raisons de commodités, le singulier est le plus employé pour parler du grenat alors qu’il correspond à une série de minéraux présentant des propriétés physico-chimiques différentes. Aussi, l’emploi du pluriel peut s’avérer utile pour distinguer ses différentes variétés.

En effet, “les grenats” sont généralement classés en deux groupes :
● Les calciques rassemblent le grossulaire, l’andradite et l’uvarovite.
● Les alumineux regroupent le pyrope, l’almandin et la spessartite.

Leur composition peut comporter un certain nombre d’éléments secondaires tels le fer, le chrome, le magnésium, le manganèse, le vanadium ou encore le titane…, ce qui confère aux cristaux une palette de couleurs très variée. La littérature spécialisée se réfère à leur structure cristalline en les classant dans la famille des nésosilicates (du Grec “nésos” qui signifie “île”) formée de tétraèdres [SiO4] non reliés entre eux. Les grenats correspondent à un ensemble de minéraux aux compositions chimiques soumises à des variations. Ainsi, les formules chimiques de l’almandin : Fe3Al2[SiO4]3 et celle du pyrope : Mg3Al2[SiO4]3, sont des compositions théoriques. Ces compositions que l’on appelle les pôles purs n’existent que rarement dans la nature. Les grenats sont en fait le produit de mélanges de deux ou de plusieurs pôles, le plus couramment au sein d’un même groupe; pour exemple l’almandin peut contenir plus de 50% de spessartite et de pyrope, le pôle dominant étant celui qui détermine le nom de la pierre. Les grenats cristallisent dans le système cubique et les formes les plus courantes des cristaux sont des dérivés du cube, soit le rhombododécaèdre (rencontré le plus souvent dans les roches métamorphiques) ou encore le trapézoèdre (dans les pegmatites). Suite à la dégradation des roches qui leur servent de gangue, par les phénomènes climatiques et géologiques, ils se concentrent dans les alluvions, parfois en quantité importante. La dureté des grenats varie en fonction de leurs conditions de formation et de leur composition chimique entre 6,5 et 7,5. Ce mode de détermination de la dureté des minéraux a été établi en 1812 par le minéralogiste allemand Frédéric Mohs et désigne la capacité pour un minéral de résister à l’abrasion ou encore d’en rayer un autre. L’échelle dite de “Mohs” classe 10 minéraux selon un ordre de dureté croissante; ainsi le talc porte le n°1 tandis que le diamant porte le n°10. Chaque minéral est rattaché à un nombre qui indique sa possibilité de rayer ou d’être rayé; en fonction du résultat, il sera classé entre celui qui est moins dur et un autre qui est plus dur que lui. La densité des grenats se situe entre 3,4 et 4,3 (par rapport à celle de l’eau qui est de 1). Quant à leur indice de réfraction, il évolue entre 1,72 et 1,94; ce qui signifie, en simplifiant, que la lumière se déplace entre 1,72 et 1,94 fois moins vite dans ces minéraux que dans le vide. L’indice de réfraction (déterminé à l’aide d’un réfractomètre), la dureté et la densité, font partie des mesures employées pour l’identification des gemmes.

 

LES PRINCIPAUX GRENATS

L’almandin, qui a pour formule chimique Fe3Al2[SiO4]3 contient du fer, de l’aluminium, du silicium et de l’oxygène, mais il peut aussi contenir du manganèse, du magnésium ou encore du titane. Sa dureté varie entre 7 et 7,5 et sa densité entre 3,94 et 4,32. Il n’est quasiment pas attaqué par les acides. Almandin est issu du nom de l’ancienne ville d’Alabanda qui fut, il y a près de 2000 ans, un important centre de polissage et de négoce pour les gemmes. Aujourd’hui disparue, elle se situait dans la vallée de Marsyas, province de Aydin, dans l’actuelle Turquie. Ce grenat est sans conteste le plus abondant de son espèce; on le rencontre principalement, en République tchèque (Bohême), en Autriche (Tyrol), au Sri-Lanka, en Amérique du Nord, en Inde, en Afghanistan, à Madagascar, au Brésil (Minas Gérais), en Australie et au Népal, etc. Sur notre territoire l’almandin est signalé à Cambo dans les Pyrénées-Atlantiques, dans le département d’Ille-et-Vilaine, en Loire-Atlantique, dans les Côtes-d’Armor (le Règne Minéral n°79 : relire l’article sur le gisement de Plélauff). Il est également présent dans les départements du Puy-de-Dôme, de l’Aveyron (à Pont-de-Salars), de la Loire (à Rives de Gier). Dans les Pyrénées-Orientales il a été signalé notamment lors de l’exploitation de la mine de fer de Batère, etc. Sa couleur varie entre le rouge, le rouge tirant sur le violet, jusqu’au noir. Les cristaux prennent la forme du rhombododécaèdre (12 faces), du tétragonotrioctaèdre et rassemblent parfois un mélange des deux formes ce qui leur donne un aspect arrondi. Précisons que certains almandins taillés en cabochons peuvent présenter un phénomène d’astérisme, dû à la présence d’inclusions de minéraux tels l’asbeste, l’amphibole ou le pyroxène qui réfléchissent la lumière en forme étoilée (ou astériée).

Quelques exemplaires de ce grenat peuvent être mentionnés soit du fait de leurs caractéristiques hors du commun, soit du fait de leurs destinations prestigieuses.

Ainsi un almandin étoilé baptisé le “Two pound star”, couleur rouge-violet, d’un poids de 5737 carats (près de 1,150 kg!) et propriété du collectionneur Pascal Entremont, a été exposé en 1994 à l’Ecole des Mines de Paris dans le cadre de l’hommage rendu au célèbre minéralogiste René Just Haüy (1743-1822), frère de Valentin Haüy connu pour son action en faveur de la cause des aveugles.

Une salière taillée dans un grenat almandin a appartenu à Louis XIV ; elle porte le numéro 8-28 de l’inventaire de 1791 et fait aujourd’hui partie du trésor de la galerie de minéralogie du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris.

Le joaillier des Tsars
Carl Fabergé (1846-1920), souvent cité comme le plus grand joaillier de son temps et dont les créations figurent aujourd’hui dans de prestigieuses collections (musée de l’Ermitage à St Pétersbourg, Cleveland Museum of Art dans l’Ohio, Victor and Albert Museum à Londres ou encore dans les collections privées de la famille Royale d’Angleterre, Forbes, ou du Baron Thyssen-Bornemisza…) n’hésitait pas à employer le grenat. Fabergé s’approvisionnait notamment auprès de Karl Feodorovich Woerffel, un industriel qui employait une centaine de personnes à la taille de pierres provenant de Sibérie, de l’Altaï, ou du Caucase. Parmi les créations les plus prestigieuses du joaillier, les œufs de Pâques impériaux occupent une place particulière. Cette tradition remonte au Tsar Alexandre III (1845-1894) qui offrait chaque année un œuf de la maison Fabergé à son épouse. Après la disparition du Tsar elle fut reprise par son fils Nicolas II qui en offrait à la Tsarine mais aussi à ses filles et à sa mère (le total des œufs impériaux produits s’élève à 54, dont 10 sont aujourd’hui à l’Arsenal du Kremlin). Quelques exemplaires furent également produits pour de richissimes clients de la firme Fabergé. L’intérieur des œufs impériaux est parfois composé de mécanismes miniaturisés et sophistiqués qui s’animent à l’ouverture de la coquille, ils représentent le plus souvent des événements ayant un rapport avec la famille du Tsar. L’oeuf offert par le Tsar Nicolas II à son épouse pour Pâques 1914 est en platine et or jaune, il est serti de pierres précieuses et de grenats. L’intérieur (appelé “surprise”) est composé d’un petit cadre émaillé représentant les cinq enfants du Tsar surmonté de la couronne impériale sertie de diamants. Lors de la révolution d’octobre 1917, les bijoux impériaux furent confisqués par les Bolchéviques. Dans les années qui suivirent le besoin de devises étant devenu l’une des préoccupations majeures, les nouveaux dirigeants firent appel aux compétences de divers organismes tels l’Union des Bijoutiers Moscovites, le Musée de l’Arsenal, afin de procéder à l’expertise puis à l’évaluation des biens confisqués. Ainsi, l’œuf impérial cité plus haut (appelé également œuf mosaïque) fut estimé à 20.000 roubles par le Musée de l’Arsenal puis vendu… 5.000 roubles lors d’une vente organisée en 1933. Il fut racheté au marchand Wartski, spécialiste des objets de vitrine et bijoux d’origine russe dont la maison londonienne est encore active de nos jours, par le Roi Georges V en 1934 et figure aujourd’hui dans la collection Royale d’Angleterre. Pour l’anecdote, les (très) rares oeufs de Fabergé qui apparaissent actuellement sur le marché se négocient à plusieurs millions d’euros; ainsi un exemplaire fabriqué pour la famille Rothschild en 1902 a été vendu aux enchères chez Christie en 2007 pour la somme de 12,6 millions d’euros.
Des grenats ont été sertis sur de nombreux autres objets prestigieux produits dans les ateliers du célèbre joaillier; nous pouvons retenir le sceau portant le blason des grands-ducs de la famille impériale de Russie et propriété du musée de L’Ermitage. Il porte les poinçons de Fabergé et celui de la ville de St-Pétersbourg. La base est en argent, elle est surmontée d’un œuf en opaline blanche maintenu par un ruban en argent qui se termine par un noeud orné d’un almandin taillé en cabochon. Un service à punch en argent, propriété du musée Peterhof, composé d’un récipient et d’une louche dont les parties intérieures sont dorées à l’or fin, portant les poinçons de la ville de Moscou et de Fabergé, peut également être mentionné. De forme circulaire, il repose sur trois boules; la partie supérieure est décorée de motifs floraux alternant avec des almandins et des pierres de lune taillés en cabochons.

Le pyrope, Mg3Al2[SiO4]3 peut être de couleur rouge-feu, rouge-violet à rouge tirant sur le noir. Quant au pôle pur, il serait incolore; c’est la présence de 10 à 40% d’almandin qui donne au pyrope sa belle couleur rouge vif. Le nom pyrope s’inspire du grec pur, puros, signifiant feu, par analogie à la couleur souvent rouge-soutenu de la pierre, et de opos pour aspect. On le rencontre essentiellement en République tchèque, à Madagascar, au Sri-Lanka, en Australie, en Tanzanie, dans les gisements de diamants d’Afrique-du-Sud. En France il est signalé à Arguénos dans le département de la Haute-Garonne, à Prades en Ariège. C’est un silicate de magnésium et d’aluminium qui contient des traces de fer et de chrome. Les formes des cristaux sont le rhombododécaèdre, le trapézoèdre; la dureté est comprise entre 7 et 7,5 et la densité entre 3,60 et 3,80. Il n’est pas attaqué par les acides. Contrairement à l’almandin, le pyrope de qualité bijouterie est très souvent de dimension modeste; on utilise donc parfois les deux gemmes ensemble afin de proposer des bijoux avec des pierres principales pesant plusieurs carats.

Ainsi, la plupart des pierres tchèques ne dépassent guère 5 à 7mm de diamètre à l’état brut mais présentent néanmoins des qualités exceptionnelles. Leur couleur d’un rouge soutenu et leur éclat intense en font des gemmes particulièrement recherchées pour la bijouterie. Leur extraction a commencé véritablement au XVIème siècle, cependant l’utilisation de ce grenat par les artisans tchèques était déjà connue aux XIIIème et XIVème, ce qui atteste d’une activité minière à ces époques. La fin du XIXème siècle correspond à l’apogée de l’exploitation des pyropes en Tchéquie; 140 propriétaires de sites d’extraction étaient alors recensés et on estime que le grenat occupait plusieurs milliers de mineurs, lapidaires et bijoutiers. En revanche, le XXème siècle correspond à un net fléchissement de l’activité. Jusqu’à la fin des années 1950, l’exploitation de la gemme se poursuit néanmoins grâce au creusement de puits desquels le minerai était remonté puis trié; le rendement se situait entre 12 et 20grammes par tonne. Aujourd’hui, la taille des gemmes, l’exploitation des gisements (mécanisée et faite à ciel ouvert) sont assurées par la société Granat A.S, localisée à Turnov.

La princesse Charlotte, épouse de l’empereur Nicolas 1er, appréciait beaucoup les grenats de Bohême; par ses nombreuses commandes elle participa à la renommée mondiale de la gemme. Le trésor de Saint-Guy, dont une partie est exposée dans la chapelle Sainte-Croix au château de Prague, renferme près de 400 objets dont les plus anciens datent du XIème siècle. Il comprend notamment de l’orfèvrerie religieuse, des reliquaires, sur lesquels ont été montés des grenats de Bohême. Le plus gros pyrope de qualité bijouterie connu, et acquis par l’empereur Rodolphe II de Habsbourg (1552-1612), provient de Bohême; de la taille d’un œuf de poule, il est conservé au Kunsthistorisches Museum de Vienne. Un autre pyrope exceptionnel de 468 carats est enchâssé dans la Toison d’or de l’Electeur de Saxe. Des grenats pyropes, provenant probablement de Bohème, ont par ailleurs été retrouvés lors des fouilles archéologiques de la basilique Saint-Denis, montés sur une fibule datée du VIIème siècle.

La rhodolite, (Mg,Fe)3Al2[SiO4]3 correspond au nom commercial d’un grenat intermédiaire entre le pyrope et l’almandin, classée 7 dans l’échelle de dureté pour une densité de 3,80 à 3,95, elle est de couleur rouge-rosé avec des nuances de violet. La couleur de la rhodolite est à l’origine du nom de ce grenat, qui vient du grec “rhodon” signifiant rosé. On la rencontre en Zambie, au Sri-Lanka, à Madagascar, en Tanzanie (à Lemshuko dans la vallée de l’Umba), en Caroline du Nord aux U.S.A (vallée de Cowee dans le comté de Macon).

La spessartite, Mn3Al2[SiO4]3 contient de l’aluminium, du silicium, du manganèse et de l’oxygène. Les acides sont sans effet sur ce grenat dont la dureté varie entre 6,5 et 7,5 et la densité entre 4,12 et 4,20. Les couleurs varient entre le jaune et le rouge-brun en passant par l’orange, les cristaux ont la forme du dodécaèdre ou du trapézoèdre. Elle tire son nom du massif de Spessart en Allemagne où furent découverts les premiers échantillons décrits. Ce grenat rare a toutefois une répartition géographique assez variée. Il est présent au Sri-Lanka, à Madagascar, au Brésil, en Pologne, en Finlande, en Tanzanie, en Suède, en Chine, dans plusieurs états des U.S.A. En France, la spessartite est notamment mentionnée près de la localité de Chanteloube (Haute-Vienne), ainsi que dans la vallée de l’Aure (Hautes-Pyrénées).

Les pierres à forte teneur en manganèse, de couleur orange rappelant celle de la robe des mandarins (anciens haut fonctionnaires chinois), sont commercialisées sous le nom de grenat mandarin.

Dans le Nord-Ouest de la Namibie, proche de la frontière avec l’Angola, le long de la rivière Kunene, un gisement de grenat présentant ces dernières caractéristiques fut découvert en 1991. Il a produit des gemmes d’une grande beauté; la présence de fines inclusions de trémolite leur donnait un aspect soyeux et leur couleur orange soutenu avec parfois des reflets rouges était du plus bel effet. Hélas les conditions d’exploitation se sont rapidement révélées difficiles et onéreuses par manque d’accessibilité du lieu d’exploitation, de températures pouvant atteindre 50° centigrade et de la nécessité de creuser de plus en plus profond une fois les couches superficielles épuisées. Le gisement est aujourd’hui abandonné.

Au sud-ouest du Nigéria, proche de l’Etat du Bénin, un gisement produit depuis 1994 des gemmes assez comparables en couleur à celles de Namibie. Elles sont localisées dans le lit d’une ancienne rivière et à la saison des pluies, l’usage de pompes s’avère nécessaire afin d’éviter le noyage des lieux d’extraction.

L’andradite, Ca3Fe2[SiO4]3 est un grenat ferro-calcique. Il contient donc principalement du calcium, du fer, du silicium et de l’oxygène ; cependant d’autres éléments chimiques peuvent être présents et influencer la coloration des cristaux. Il est attaqué lentement par les acides, sa dureté varie entre 6,5 et 7 et sa densité entre 3,82 à 3,86. La forme la plus fréquente de la cristallisation est le rhombododécaèdre. Il peut être incolore, marron, vert à vert-foncé ( il est alors appelé démantoïde), jaune-vert à brun (topazolite), noir (mélanite). L’andradite fut ainsi baptisé en l’honneur du minéralogiste portugais José Bonifacio d’Andrada e Silva. Né au Brésil (alors possession portugaise) le 13 juin 1763, il contribua à l’indépendance du pays. Il vécut une partie de sa vie au Portugal où il enseigna à l’université de Coimbra; de retour au Brésil en 1819, il y mourut en 1838 au terme d’une carrière bien remplie consacrée aux sciences, à la politique et en particulier à la minéralogie. Les principaux gisements se situent en Allemagne, en Suisse, en Italie, en Pologne, aux Etats-Unis, en Russie. En France on le rencontre notamment en Alsace, dans le département du Var, dans les Vosges, en Ariège dans les environs de Saint-Barthélemy, mais aussi dans les Pyrénées-Orientales au massif du Costabonne qui, au niveau national, aurait fourni les plus beaux échantillons.

Le démantoïde, Ca3Fe2[SiO4]3 est une variété d’andradite dont la dureté varie entre 6,5 et 7 et la densité entre 3,82 et 3,85. Sa rareté, sa couleur verte à vert émeraude et son éclat intense en font une pierre très recherchée des collectionneurs et des gemmologues. La couleur de cette gemme résulte généralement de la présence de chrome sous forme de trace; la forme des cristaux est le rhombododécaèdre, plus rarement le trapézoèdre (rencontré sur certaines pierres malgaches). L’éclat du démantoïde, dû à son indice de réfraction élevé (1,89), proche de celui du diamant, a déterminé le nom de la pierre (du Flamand “demant” qui signifie diamant) d’où démantoïde : “comme le diamant”. Sa rareté le rapproche encore un peu plus de son prestigieux confrère.

Le premier gisement a été découvert dans l’Oural en 1853 près de Nijni Taghil par des chercheurs d’or qui ont d’abord pris les pierres vertes pour de l’émeraude. Les alluvions de la rivière Bobrovka au nord/nord-ouest d’Ekaterinburg, près du village d’Elizaverinskoye sont particulièrement réputées pour avoir fourni des gemmes au vert intense et lumineux. En fait, ce n’est qu’en 1864 que le minéralogiste finlandais Nils Von Nordensheld classe la gemme dans la famille des grenats et propose qu’on lui attribue le nom de “démantoïde”. En 1879, deux gisements sont mis à jour dans les alluvions de deux rivières situées dans le district de Polevsk’oy; ils ont livré des gemmes qui surpassaient largement en qualité celles jusqu’alors découvertes, bien que l’extraction et la taille des pierres semblaient alors s’effectuer dans la plus grande confusion. Les mémoires, écrites en 1919, du bijoutier F. Petrovich Birbaum, découvertes dans les archives du minéralogiste A.E Fersman en disent long sur ce qu’était le chemin de croix parcouru par les pierres avant d’arriver entre les mains des maîtres-bijoutiers. Birbaum s’indignait ainsi de la situation d’avant 1914 : “L’extraction des pierres précieuses et semi-précieuses dans l’Oural et en Sibérie de l’Est était dans un état chaotique. Les gisements n’étaient pas exploités mais pillés; les méthodes d’extraction étaient si primitives et mal organisées que ce que l’on trouvait était l’effet du hasard et seulement là où aucun effort particulier n’était nécessaire” , quelques lignes plus loin il renchérissait en précisant que : “La taille des pierres précieuses était digne d’un amateur et si imparfaite que les belles pierres étaient envoyées à l’étranger afin d’être taillées et finissaient perdues sur ces marchés… De grandes quantité de pierres semi-précieuses sont encore envoyées en Allemagne et nous sont renvoyées taillées”. Malgré ces dysfonctionnements, qui peuvent paraître quelque peu exagérés, les gens fortunés de la Russie des Tsars appréciaient tout particulièrement le grenat démantoïde et les grands joailliers l’utilisaient dans leurs créations. Cependant la révolution d’octobre 1917 devait entraîner de profonds bouleversements sociaux et politiques. L’élite de l’aristocratie sur laquelle s’appuyait largement le pouvoir des tsars s’effondre brutalement. La plupart des symboles représentant le pouvoir défunt sont remis en question, parfois même violemment rejetés. La bijouterie de prestige à laquelle était rattachée le luxe, inaccessible à la plupart des Russes qui vivaient bien modestement, n’échappe pas à cette tendance. De nombreux Russes prennent alors le chemin de l’exil; parmi eux Carl Fabergé, l’un des plus talentueux bijoutiers du XXème siècle, qui avait contribué à la renommée du démantoïde. Fabergé quitte la Russie à la fin de 1917 après qu’un “Comité des employés de la compagnie Carl Fabergé” eût pris la direction de l’entreprise. Il fuit discrètement le pays qui l’avait vu naître et se réfugie à Lausanne, en Suisse, où il meurt le 24 septembre 1920. La renommée du démantoïde ne résiste pas à cette période trouble, la pierre sombre quasiment dans l’oubli jusqu’au début des années 1990 pour enfin réapparaître suite à l’effondrement du bloc soviétique. La production demeure néanmoins très limitée jusqu’au début des années 2000 où de nouvelles pierres apparaissent en plus grande quantité sur le marché à la faveur de découvertes de petits gisements dans l’Oural arctique, en Sibérie ou encore grâce à la remise en production de la mine Kladovka. Les pierres de l’Oural sont les plus convoitées ; outre leur couleur très appréciée, elles présentent des inclusions typiques, visibles sous un fort grossissement, qui permettent aux gemmologues de les identifier facilement. Ces inclusions, nommées “queue de cheval”, s’observent dans la plupart des démantoïdes de l’Oural; elles sont formées de petites fibres de byssolithe ou /et de chrysotile, disposées en touffe. Alors qu’elle serait considérée comme un défaut dans les autres gemmes, cette particularité qui ne nuit en rien à la beauté du démantoïde, constitue en quelque sorte un certificat d’origine.

A Madagascar, un gisement a été découvert en 2008 au nord- ouest de l’île, dans la mangrove proche de ce qui était alors un petit village nommé Antetezambato, situé à une vingtaine de kilomètres au nord de la ville d’Ambanja. La découverte a provoqué un important mouvement de population, le site qui comptait quelques dizaines de prospecteurs au début de l’exploitation a rapidement rassemblé plusieurs milliers de personnes (jusqu’à 15.000 en 2009 selon certaines sources). Le gisement produit de très belles pierres, tant du point de vue de la dimension des cristaux, qui peuvent atteindre jusqu’à deux centimètres, avec des gemmes taillées pesant jusqu’à 10 carats, que de celui de leur transparence. Leur couleur va du vert, au vert avec des nuances de bleu ou de jaune (le bleu pur étant une couleur inconnue chez les grenats). La production se compose surtout de cristaux isolés de dimensions jusqu’alors quasi inconnues pour cette variété de grenat, d’une couleur attrayante et réservés à la taille du fait de leur transparence. Certains échantillons sur gangue sont également récoltés et constituent des pièces minéralogiques très prisées des collectionneurs. Les inclusions décelées au microscope ne présentent pas les mêmes caractéristiques que celles des pierres de l’Oural. Elles ne sont pas constituées de fibres de byssolithe ou de chrysotile, sont moins fréquentes et prennent la forme de minuscules aiguilles ou de points aux formes plus ou moins régulières qui ne peuvent être rapprochées des “queues de cheval” citées précédemment. Des cavités remplies de liquide et de gaz sont également signalées, elles peuvent atteindre voire dépasser le millimètre.

En Namibie, dans l’ouest des monts Erongo, un gisement est exploité près du village de Tubussis, entre les villes d’Omaruru et d’Usakos, sous le nom de “Mine du dragon vert” par la société Johnston-Namibia cc, dont le siège se situe à Omaruru. Le gisement, découvert en 1996 par un berger, produit des démantoïdes d’excellente qualité. La gemme présente des couleurs qui vont du vert-olive au vert avec des nuances de bleu. Les inclusions fibreuses citées précédemment sont absentes; seules de petites cavités remplies de liquide sont visibles sous fort grossissement. Les pierres ne sont pas taillées localement mais en Thaïlande; une fois travaillées elles pèsent rarement un carat, et deviennent exceptionnelles lorsqu’elles atteignent ou dépassent cinq carats.

Au Québec, le gisement de Blacke Lake a produit des échantillons minéralogiques de toute beauté entre 1995 et 1998 ainsi qu’une petite quantité de cristaux gemmes destinés à la taille.

Le démantoïde est également présent en Allemagne (Saxe), en Tanzanie, en Corée du Sud, dans la Région de Sonora au Mexique et dans celle de Bagh Borj en Iran. En Italie, la mine de Sferlun dans le Val Malenco a produit des échantillons minéralogiques de qualité remarquable. Comme pour l’uvarovite, la présence du démantoïde est anecdotique en France. Il est mentionné sur la commune de Chamrousse en Isère sous la forme de très petits dodécaèdres verts (voir Le Règne Minéral n°115).

Le grossulaire, Ca3Al2[SiO4]3, lorsqu’il est pur, contient du calcium, de l’aluminium, du silicium et de l’oxygène, sa dureté va de 6,5 à 7 et sa densité de 3,60 à 3,68. Les acides sont sans effet sur ce grenat. Ses couleurs sont le jaune, le jaune-vert, l’orange, le brun-rouge, le rose, le vert ou encore le vert-émeraude. Les cristaux ont le plus fréquemment la forme du rhombododécaèdre à l’aspect arrondi du fait de la présence de nombreuses facettes supplémentaires; plus rarement, on peut les rencontrer sous la forme de l’exaoctaèdre. Le nom grossulaire émane du latin “ribes grossularia” qui désigne la groseille à maquereau. La répartition géographique de ce grenat est assez variée : Italie, Allemagne, Pologne, Roumanie, Mexique, Suisse, Ecosse, Corée, Afrique-du-Sud, Etats-Unis, Kenya, Tanzanie. En France, on le rencontre au Pic d’Arbizon dans les Hautes-Pyrénées, à Ax-les-Thermes dans l’Ariège, près de Luchon dans la Haute-Garonne, à Bessines dans la Haute-Vienne, à Raon-l’Etape et à Framont dans les Vosges, etc.

L’hessonite, Ca3Al2[SiO4]3. est une variété de grossulaire assez rare. C’est un silicate de calcium et d’aluminium avec parfois des traces de fer et de manganèse, sa dureté se situe entre 6,5 et 7 et sa densité vers 3,65. Elle arbore une couleur orange parfois soutenue. Son nom proviendrait du grec “hesson” c’est à dire “moindre”, du fait de la taille des cristaux qui est généralement assez modeste par comparaison avec ceux de l’almandin, ou parce qu’elle est d’une dureté inférieure à celle de gemmes auxquelles elle pourrait faire penser tels le saphir padparadscha, le zircon hyacinthe ou encore certains spinelles. On la trouve au Sri-Lanka, au Canada où la localité d’Asbestos est mondialement connue des collectionneurs pour la qualité des cristallisations, au Brésil, au Mexique, aux Etats-Unis, à Madagascar, en Tchéquie, en Italie…

La tsavorite, Ca3Al2[SiO4]3 ,variété de grossulaire, peut présenter un vert soutenu (couleur la plus recherchée) qui est parfois comparé à celui des plus belles émeraudes. Riche en vanadium elle peut aussi contenir du manganèse, du chrome, du fer, du magnésium, du titane, du nickel… sous forme de trace. Sa dureté va de 7,25 à 7,5 et sa densité de 3,50 à 3,64. Son indice de réfraction est de 1,74 alors que celui de l’émeraude est de 1,57. Elle a souvent l’aspect de nodules appelés localement “Pommes de terre” ; les cristallisations sont rares. Aujourd’hui, la gemme est exploitée à ciel ouvert ou en galeries essentiellement au Kenya et en Tanzanie, par de petites entreprises pour leur majorité peu mécanisées, qui emploient chacune et en moyenne de dix à cinquante personnes. Pour illustrer la quantité de gemme produite, le placer de Lemshuku, situé dans le nord de la Tanzanie et exploité mécaniquement, livrait 60 tonnes d’alluvions par jour en 2009, d’où étaient extraits environ 60 grammes de pierres taillables. La découverte du premier indice de ce grenat, par le géologue écossais Campbell Bridges (1938-2009), eut lieu en 1961 au Zimbawe. En 1967 (cette date va être retenue comme celle de la découverte de la gemme) dans le nord-ouest de la Tanzanie, à 13 kilomètres au sud-est du village de Komolo, Bridges met à jour un gisement qu’il ne pourra pas exploiter longuement du fait de l’arrivée au pouvoir d’un régime politique peu favorable à l’exploitation minière. Néanmoins, au début des années 1970 Campbell Bridges découvre et exploite un nouveau gisement dans les environs du parc Tsavo au Kenya, à environ135 kilomètres au sud-est du mont Kilimanjaro. La mine “Scorpion”, ainsi baptisée par le géologue, est située sur une concession de 600 hectares à Taita-Tveta . Hélas, le 11 août 2009, des différends relatifs à d’obscurs conflits d’intérêts ont conduit à l’assassinat du découvreur de la tsavorite. Peu après la tragédie, afin d’honorer la mémoire du géologue, son fils Bruce présentait à Tom Elliot, directeur du “Laboratoire de Gemmologie d’Amérique du Nord”, et en présence du gemmologue Vincent Pardieu, une sélection de ce que la mine Scorpion avait produit de meilleur. Parmi les 44 pierres retenues dont la plupart pesaient aux alentours de 3 carats, toutes de qualité irréprochable, figurait une gemme taillée de 20,24 carats, la plus importante provenant de cette mine.

Ce grenat ne doit pas son nom à un Tsar comme nous pourrions le penser, mais à Henry Platt qui le baptisa ainsi en 1973 à la suite d’une visite qu’il rendit à Campbell Bridges et alors qu’il occupait la fonction de président de la bijouterie Tiffany. Le nom fut choisi en l’honneur du parc Tsavo. Dès la découverte de cette pierre, ses qualités devaient susciter l’intérêt d’autres prospecteurs, tel le Sud-Africain Peter Morgan qui exploita à son tour le grenat à partir de 1973 à Lualenvi dans un secteur proche de la concession de Bridges. La société TanzaniteOne, spécialiste et leader mondial de l’exploitation de la tanzanite accorde également beaucoup d’intérêt au grenat vert et annonce en 2007 son “projet tsavorite” par le biais de sa filiale TsavoriteOne Mining Ltd. L’année suivante c’est au tour de la société Gemfields, qui exploite des mines d’émeraude en Zambie, de s’intéresser à la tsavorite. En 1994, le précieux grenat est à nouveau mis à jour dans les alluvions de la rivière Muhuwesi, district de Tunduru, au sud de la Tanzanie. Il est accompagné de saphirs, rubis, diamants, spinelles… qui justifient l’exploitation du site alors que celle de la seule tsavorite ne serait pas économiquement rentable. Un gisement d’importance économique est découvert en 1999 dans le sud de la Tanzanie à 18 km au nord de la petite ville de Ruangwa. En 2007, il comptait environ 300 mineurs qui s’affairaient à la recherche de la gemme et au percement de galeries dont certaines se situaient à 300 mètres de profondeur; d’importantes infiltrations d’eau nécessitaient l’emploi permanent de pompes. Dans le sud de Madagascar un gisement, exploité pendant une courte période par la société Delorme, fut découvert en 1991 proche du village de Gogogogo; un second, situé dans les environs du village de Behara et découvert en 1997 produit des gemmes présentant quelques ressemblances avec celles de Tsavo. Ce grenat est également signalé en 1990 dans les montagnes de Sor Rondane en Antarctique, et en 1992 dans la vallée de Swat au Pakistan, mais sans réel intérêt économique.

L’uvarovite, Ca3Cr2[SiO4]3, est un silicate de calcium et de chrome, ce dernier élément lui donne sa belle couleur verte à vert-émeraude foncé. Il est le plus rare des grenats mentionnés dans cet article et un minéral particulièrement recherché des collectionneurs. On le rencontre le plus fréquemment en petits cristaux rhombododécaèdriques ou tétraèdriques parfois striés sur les faces, mais aussi en amas granuleux. Sa densité se situe entre 3,40 et 3,77, tandis qu’une dureté de 7,5 et un indice de réfraction élevé, pouvant atteindre 1,87, permettraient son utilisation en bijouterie.

Hélas, la rareté de l’uvarovite et la petite dimension de ses cristaux ou de la matière brute réduisent considérablement une telle possibilité. L’uvarovite tient son nom du russe Sergei Semeonovich Ouvarov (1786-1855), qui fut notamment président de l’académie des sciences de Saint-Petersbourg.

On trouve principalement ce grenat dans les gisements de chrome, dans les roches métamorphiques où sont présents le fer, le magnésium et d’autres minéraux métalliques, et dans les calcaires lorsque le chrome est présent en grande quantité. Dans le massif de l’Oural, la mine de Saranovskii a produit des échantillons remarquables aux cristaux brillants, d’une bonne transparence et disposés sur de la gangue. L’Afrique-du-Sud est également citée, de même la Finlande (Outokumpu où des cristaux de taille exceptionnelle, soit plus de 2 centimètres, furent extraits à la fin du XIXème siècle), la Norvège (Rorös), la Pologne (Jordanow), le Canada (Marcy). En France ce grenat est extrêmement rare et ne présente pas de belles cristallisations. Il est néanmoins signalé dans les Pyrénées centrales, mais aussi en Haute-Loire à proximité du petit village de Laval-sur-Doulon où il a été découvert lors de la réalisation de travaux routiers.

Les couleurs

Comme il a déjà été précisé, la présence de divers éléments chimiques dans la composition des grenats donne à ces pierres des couleurs très variées. Seule la couleur strictement bleue est absente. Le rouge de l’almandin est dû à la présence de fer, le rose de la rhodolite à celle du magnésium, l’orange de la spessartite à la présence du manganèse, le vert de l’uvarovite, de la tsavorite et du démantoïde à celle du chrome (avec une exception pour les démantoïdes de Madagascar, pour lesquels une analyse effectuée au laboratoire de l’université de Nantes a révélé que le fer est l’élément déterminant de la couleur)…

 

QUELQUES GISEMENTS DES PYRÉNÉES-ORIENTALES

Le département des Pyrénées- Orientales est une terre d’élection pour le grenat, si l’on se réfère au nombre de gisements recensés et aux variétés présentes. Ainsi, des Albères aux Fenouillèdes en passant par le massif du Canigou, les occurrences abondent.

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Pour aborder le sujet des grenats dans les Pyrénées-Orientales, il apparaît incontournable de citer un Catalan dont le travail a largement contribué à la connaissance de la géologie du département. Gérard Guitard (1925-2009) est né à Perpignan; après des études de médecine il va réorienter sa carrière et en consacrer une partie à l’étude de la géologie des Pyrénées-Orientales, tout particulièrement à celle du massif du Canigou. Sa vie professionnelle commence au B.R.G.M où il occupe un poste d’ingénieur et de chercheur, période pendant laquelle il va préparer sa thèse qu’il soutient en 1965. Ensuite, il travaille au C.N.R.S jusqu’en 1972, puis il enseigne la géologie à l’université Pierre et Marie Curie jusqu’à son départ en retraite, en 1998. Son travail de chercheur et d’enseignant le conduira à publier une documentation scientifique abondante dans laquelle le sujet du grenat est traité à de nombreuses reprises. De cette passion est née une remarquable collection de minéraux récoltés lors de ses prospections sur le terrain, à partir des années 1940 et durant plusieurs décennies. Les grenats des Pyrénées-Orientales y sont très bien représentés. Certains échantillons présentent des caractéristiques particulièrement intéressantes, notamment du fait de la dimension et de la qualité des cristaux, mais aussi parce qu’ils proviennent de gisements aujourd’hui interdits d’accès ou qu’il n’est plus possible de retrouver suite à la modification de la topographie des lieux (disparition de chemins, couverture végétale…). La collection a connu une existence mouvementée; après avoir été conservée pendant plus de vingt ans dans la région de Perpignan, elle a été conduite à Paris en 1986 à des fins d’études, puis ramenée dans le département en 1997. En 2005, Gérard Guitard offrait sa collection au Musée du Centre Européen de Recherches de Tautavel où elle est exposée dans des vitrines (dont une entière dédiée au grenat). Hélas, la collection est conservée dans une salle qui n’est pas accessible au public.

Parmi les variétés de grenats présentes dans le département des Pyrénées-Orientales nous pouvons citer :

Le grossulaire dans les environs de Py, d’Estoher, de Collioure (à proximité du ruisseau le “Ravaner” avec une possible association à la vésuvianite), de Casteil (aux environs de l’abbaye de Saint-Martin du Canigou), de Rieutort (Puyvalador) où des grenats présentant parfois un beau rouge-orangé ont été découverts lors de l’élargissement d’une piste de ski.

Grossulaire de Rieutort (Puyvalador)

 

Les prospections du B.R.G.M sur le site de Roque-Jalaire (Reynes), au début des années cinquante, ont mis à jour un skarn où de bons échantillons de grossulaire ont été récoltés. Le gisement se situe au dessus de la route qui conduit d’Amélie-les-Bains à Taulis, peu avant le ravin dit de “Cloquemine”.

Grossulaire de Roque-Jalaire (Reynes)

Grossulaire de Roque-Jalaire (Reynes)

 

On rencontre aussi le grossulaire au Pic de Costabonne (Prats-de-Mollo-la-Preste) ou encore au sur le flanc nord du Pic Barbet (Taurinya), où les éboulements, causés notamment par les périodes de gel et de dégel, ont permis la récolte d’échantillons qui présentent des cristaux rouge-orangé dont la taille peut atteindre voire même dépasser le centimètre.

Grossulaire de Taurinya

 

La “cheminée” du pic du Canigou, située sur le flanc sud, a aussi livré de beaux échantillons de grenat parfois associé à la clinozoïsite et à la vésuvianite. En 1922, le bijoutier J. Charpentier signalait : “Les collections minéralogiques du Muséum de Paris possèdent un très pur type de ces grenats grossulaires rouge-hyacinthe dans une géode recueillie au Pic même du Canigou”. Cet échantillon, récolté au début du XXème siècle par Octave Mengel (1863-1944) alors directeur de l’observatoire météorologique de Perpignan, fut dans un premier temps offert au minéralogiste Alfred Lacroix.

● Une variété intermédiaire entre le grossulaire et la spessartite aux environs de Montbolo, proche du mas Carbonell. Les cristaux, de couleur rouge, sont engagés dans une gangue de pyrrhotite et ne présentent généralement que peu d’intérêt esthétique. La collection de Gérard Guitard comprend plusieurs exemplaires de grossulaire-spessartite récoltés dans ce secteur dans les années 1950. Un autre échantillon, daté 1952 et décrit dans le catalogue de la collection, provient du massif du Costabonne; il se compose de cristaux dodécaèdriques de couleur rouge-orangé mesurant entre 5 et 8 mm disposés sur de l’actinote.

L’almandin sur la commune de Py, située à la limite des massifs du Canigou et du Costabonne. La collection Guitard comprend un cristal brun foncé en forme de trapézoèdre de 5,5cm découvert en 1945 à l’est du village de Py, dans une pegmatite du ravin de Baréu, au lieu-dit Cirereus.

Les amateurs de nature apprécieront la richesse et la diversité des écosystèmes de cette commune classée en réserve naturelle depuis 1984 et dont l’altitude varie entre 880 et 2442métres. Faute de pouvoir prélever des échantillons minéralogiques, les plus persévérants (ou les plus chanceux) pourront observer l’isard (Rupicapra pyrenaica) qui n’est pas la version pyrénéenne du chamois mais une espèce à part entière, le très discret desman des Pyrénées, puis le gypaète barbu, le vautour fauve, l’aigle royal, le grand tétras, le lagopède alpin et côté flore le lys des Pyrénées, plusieurs variétés de gentianes, le rhododendron, le séneçon à feuilles blanches…

Pour revenir au monde minéral, l’almandin est présent dans le massif du Canigou, aux environs de Casteil (Coume Mitjane), puis au col Paloumère (Saint Marsal) ou encore en Cerdagne près de Bolquère.

Poursuivons notre route en direction de la méditerranée; une halte à Fonfrède, sur les hauteurs de Céret, s’impose. Les grenats peuvent y atteindre voire même dépasser 5cm, bien que souvent oxydés ou encore engagés dans une gangue de granite très dur (et il devient alors difficile de les dégager intacts).

Au Sud-Ouest de Montesquieu-des-Albères, on peut noter la présence de grenats, souvent de couleur marron mat, parfois gros, plus rarement brillants et noirs mais plus petits, dans une diorite plus ou moins altérée variant de friable à très résistante.

Almandin de Montesquieu-des-Albères

 

Aux alentours du Pic Néoulous (Laroque-des-Albères) des grenats marrons à noirs pouvant largement dépasser 1cm (jusqu’à 3cm) mais aussi, plus rarement et plus petits, des rouges à pourpre, plus ou moins translucides, sont inclus dans du granite ou de la pegmatite.

Almandins de Laroque-des-Albères

Almandin de Laroque-des-Albères

Almandin de Laroque-des-Albères

Almandin de Laroque-des-Albères

 

L’almandin est aussi présent dans les Albères au sud d’Argeles (Mas d’Amunt) et dans les gorges de la Massane (Sorède), en cristaux brun rougeâtre de 0,5 à 2cm.

Almandins des gorges de la Massane (Sorède)

Almandins des gorges de la Massane (Sorède)

 

Quittons le massif pyrénéen pour les collines du Fenouillèdes, au sud du bourg de Latour-de-France, où l’almandin est présent dans divers affleurements situés dans les vignes. Les cristaux sont noirs à marrons avec une taille pouvant atteindre 3cm; on peut aussi en trouver des rouges mesurant généralement de 5 à 12mm, des légèrement roses où d’autres encore avec des reflets pourpres. Dans l’un des affleurements, ils sont parfois accompagnés de tourmalines qui ont, hélas, la fâcheuse tendance à se briser dès qu’on tente de les dégager.  Dans ces affleurements, les roches qui contiennent les grenats sont particulièrement variées. On peut noter le granite et la pegmatite comme souvent, mais aussi, bien plus localisés, des quartzites, mylonites et gneiss.

Almandins de Latour-de-France

Almandins de Latour-de-France

Almandin de Latour-de-France

Almandin de Latour-de-France

Almandins de Latour-de-France

Analyse chimique semi-quantitative d’un grenat rouge de Latour-de-France. Les résultats de l’analyse permettent d’évaluer la composition du grenat comme suit : 40% d’almandin, 30% de pyrope, 20% de spessartite et environ 10% de grossulaire.

 

De beaux grenats, aux faces bien exprimées, ont été découverts entre les villages de Montner et Latour-de-France. Les cristaux, de couleur noire à marron, mesurent de 1 à 3cm et sont situés dans une gangue d’orthose et de quartz.

Almandin d’un secteur entre Montner et Latour-de-France

Almandin d’un secteur entre Montner et Latour-de-France

 

Encore plus au sud, aux limites des communes entre Latour-de-France et Cassagnes, des grenats marrons foncés et d’autres légèrement rosés à pourpres mesurant jusqu’à 2 centimètres ont été trouvés dans du leucogranite à biotite.

Almandins de Cassagnes

Almandins de Cassagnes

 

Sur la commune de Montner, dans un petit filon de pegmatite, des grenats pourpres de quelques millimètres jusqu’à 3cm parfois associés à de gros cristaux de tourmaline noire, ont été découverts. Leur cristallisation est souvent imparfaite, bien qu’ils présentent une bonne brillance.

Almandin et tourmaline de Montner

Almandin de Montner

 

Citons aussi le gisement de Caladroi (commune de Belesta), à l’Est et à quelques centaines de mètres du petit hameau portant le même nom. Ce gisement a fourni des cristaux dont certains dépassent largement le centimètre, leur couleur est le plus fréquemment brune mais on peut aussi en observer des rougeâtres. Dans le tome 1 de “Histoire naturelle du département des Pyrénées-Orientales” publié en 1861, le naturaliste Louis Companyo (né à Céret le 16 décembre 1781 et mort à Perpignan le 10 septembre 1871) décrit brièvement le gisement : “Grenats trapézoïdaux, à 24 facettes dans une roche composée de feldspath blanc, de quartz blanc et de mica argentin. Gisement : montagne de Caladroy”. Précisons que les almandins de Caladroi sont localisés au dessus d’un talus bordant une vigne, dans une propriété privée et que le propriétaire s’oppose à toute prospection.

Almandins de Caladroi (commune de Belesta)

 

Toujours sur la commune de Belesta, au sud de Caladroy, on peut remarquer de nombreux grenats inclus dans une pegmatite riche en feldspath et circonscrite dans un petit périmètre.

Almandin de Belesta

Almandin de Belesta

 

Dans les pegmatites du Nord-Ouest de Néfiach, on note la présence d’almandins parfois nombreux et de tailles variées. De façon très localisée, et inclus dans une pegmatite particulièrement résistante, certains cristaux ont une belle couleur rosée.

Almandin de Néfiach

Almandins de Néfiach

 

La collection Guitard comprend de nombreux exemplaires d’almandin recueillis entre les années 1940 et 1980. Parmi les plus remarquables, décrits dans le catalogue : un échantillon daté 1948 provient du massif des Albères, au sud d’Argelès; la gangue supporte des cristaux bruns de 1 à 2,5 centimètres en forme de dodécaèdres tronqués. Un autre, prélevé en 1972 sur la commune de Bélesta, à l’est du château de Caladroi, présente des cristaux en forme de trapézoèdres de couleur brune mesurant jusqu’à 1,5cm, avec de jolis reflets rouges.

L’almandin-pyrope est présent le long de la route départementale 619, à environ deux kilomètres du bourg d’Ansignan, au niveau du panneau indiquant “Les Albas”. Les cristaux sont fracturés et ne présentent pas de facettes vraiment définies, leur couleur varie entre le gris et le rose. Une analyse faite par Pascal Andrieux en 1982 précise un almandin fortement substitué, avec des proportions de pyrope allant de 24 à 31%. Les grenats, nombreux et très visibles dans la formation rocheuse qui constitue le talus de la route, peuvent atteindre 2cm; ils sont engagés dans un granite très dur (appelé charnockite) dans lequel ont parfois cristallisé de grands cristaux d’orthose.

L’andradite en dodécaèdre, parfois combiné avec le trapézoèdre, est présente dans les skarns du sud de Felluns dans le massif de l’Agly. Les cristaux sont souvent très bien formés et brillants, de couleur noire à, plus rarement, rouge foncé, pouvant atteindre 3 à 4 centimètres. Sur un même échantillon, les grenats sont parfois accompagnés de cristaux octaédriques de magnétite pouvant dépasser largement le centimètre, de quartz aux cristaux de plusieurs centimètres mais mal cristallisés ou encore de scapolite.

Malheureusement, suite à des prélèvements “musclés”, un panneau indique que toute récolte de minéraux est strictement interdite. Ces skarns ont été découverts en 1979 par Guitard et Fonteilles et ont été mentionnés lors du 26eme Congrès International de Géologie, qui s’est déroulé du 7 au 17 juillet 1980 au Palais des Congrès à Paris.

Andradite de Felluns

Andradite, quartz et magnétite de Felluns

 

Au Costabonne, l’andradite est bien représentée en jolis cristaux dodécaédriques aux arêtes finement biseautées, de couleur caramel et avec une taille allant de 1 à plus de 2cm, parfois engagés dans la calcite ou le quartz. Un très bel échantillon de cette provenance, composé d’un cristal bien dégagé de 2cm disposé sur sa gangue est inclus dans la collection Guitard, il porte le n°396 et a été récolté en 1972.

Andradite du massif du Costabonne (Prats-de-Mollo-la-Preste)

 

La spessartite est rarement mentionnée dans le département. Guitard situe néanmoins un gisement à proximité de Port-Vendres, sur la bordure ouest de la plage d’en Baux où ce grenat, en partie substitué par l’almandin, représente seulement le centre des cristaux. Un échantillon de la collection du géologue et de cette provenance a été prélevé en 1976; il se présente sous la forme de petits dodécaèdres de 2 à 3 mm de couleur brun foncé.

Bien entendu, les localisations mentionnées ci-dessus ne prétendent pas constituer une liste exhaustive. Elles illustrent simplement une présence très marquée du grenat dans le département. Rappelons également que certains gisements sont situés dans des propriétés privées où toute récolte ne saurait être effectuée sans l’accord des propriétaires, ou encore dans des réserves naturelles où les prélèvements minéralogiques sont interdits.

Les grenats et Salvador Dali
Le titre peut paraître surprenant, s’agirait-il d’une nouvelle facétie du maître? : Il n’en est rien; car si nous connaissons plus Dali pour ses peintures et ses sculptures que pour ses créations de bijoux, le très célèbre Catalan espagnol né à Figuéras ne cachait pas l’intérêt qu’il portait à cette dernière activité. En 1959 il déclarait : “Dans les bijoux, de même que dans toute mon activité artistique, je crée ce que j’aime le plus”. Trent- sept de ses œuvres, initialement regroupées au sein de la prestigieuse Owen Cheatham Foundation aux U.S.A, vendues ensuite à un milliardaire saoudien qui les a lui-même cédées à un Japonais fortuné, ont été acquises en 1999 par la fondation Gala- Salvador Dali pour être exposées au musée de Figueras. Par son expertise et ses conseils, l’Association Espagnole de Gemmologie a apporté une aide précieuse lors de la transaction.
A chaque bijou correspond un dessin élaboré par le maître dans lequel on retrouve l’expression de son style baroque surréaliste. La fabrication, en exemplaires uniques, était confiée aux ateliers New-Yorkais du bijoutier Carlos Alemany. La collection retrace le travail de S. Dali entre les années 1941 et 1970. Outre les bijoux, elle regroupe 37 dessins et peintures préparatoires qui ont servi à leur réalisation. La collection est désormais exposée de façon permanente sur deux étages d’un bâtiment réaménagé par l’architecte Òscar Tusquets. L’accès aux salles se fait par une entrée différente de celle du musée.
Après avoir achevé les dessins ou les peintures dans lesquels il définissait avec une très grande minutie les formes, les couleurs, le peintre tenait un rôle actif dans le choix des matériaux. Parmi ces derniers, on retrouve diverses variétés de grenats qu’il a sélectionnées pour figurer sur certaines de ses réalisations, dont quatre sont décrites ci-dessous.
● “Le Cœur Royal”, réalisé en 1953 mesure 13,2 x 7,8 x 2,7cm. Il est composé d’or jaune et de pierres de plusieurs couleurs parmi lesquelles des grenats hessonite.
● “Tristan et Iseult”, création de 1953, mesure 4,1 x 4,4 x 1,2cm et représente les visages des personnages de la légende celtique. Parmi les pierres serties sur le bijou en or jaune, la plus importante est un grenat almandin.
● “Ophélie”, daté 1953, mesure 4,4 x 4,5 x 1,8cm. Sept grenats démantoïde taillés en navettes sont sertis sur le bijou.
● “La fleur psychédélique”, de création plus tardive (1970), mesure 58 x 15cm, elle est composée d’or jaune serti de nombreuses pierres, dont des grenats.
 

LE GRENAT ET LE CLERGÉ CATALAN

Bien qu’elles ne puissent prétendre à une existence millénaire, les premières utilisations du grenat par les bijoutiers-joailliers et orfèvres catalans apparaissent anciennes. A ce titre d’ancienneté, l’orfèvrerie religieuse roussillonnaise occupe une place qu’il convient d’évoquer, car elle est à l’origine de pièces prestigieuses, la plupart produites localement et dont l’une est datée du XIVème siècle. La présence de ces objets religieux s’explique par les rapports particuliers que l’Eglise entretenait avec les orfèvres catalans et pour lesquels elle représentait une clientèle importante. L’historien Laurent Fonquernie précise à ce sujet :

Les bijoutiers étaient pour la plupart des catholiques confirmés, souvent en relation amicale et familiale autant que commerciale avec le clergé local”. Vers la fin du XIXème siècle le catalogue de la bijouterie Velzy soulignait d’ailleurs cette proximité : “La maison la mieux assortie et vendant le meilleur marché, bagues de fiançailles, parures de mariages… orfèvrerie d’église, calices, ciboires, ostensoirs…”, suivi d’une précision : “Prix spéciaux pour MM les Curés”. Parmi les œuvres que nous pouvons retenir : un médaillon reliquaire classé aux Monuments Historiques sur lequel sont sertis 17 grenats. Ce bijou du XIVème siècle figure dans le trésor de la cathédrale d’Elne. De même, la couronne de Notre Dame de la Victoire, à Thuir, est considérée comme un chef d’œuvre. Elle a été réalisée vers 1763 en argent doré serti de pierres, parmi lesquelles des grenats, dans l’atelier de l’orfèvre Antoine Tarbal. Elle porte le poinçon de la ville de Perpignan et celui de l’orfèvre. Un dernier exemple est un calice, serti de grenats, fabriqué à Perpignan par l’orfèvre Paul Soulié (1848-1906) à l’occasion de l’ordination sacerdotale de son fils Victor le 6 juin 1903. Laurent Fonquernie commente ainsi la symbolique de ce calice : “Cette très belle œuvre prouve l’attachement du monde religieux catalan à la renaissance de l’identité roussillonnaise à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, identité où grenats et dorures symbolisent le blason catalan sang et or”.

Médaillon reliquaire d’Elne (XIVème siècle) / 9cm x 5,2 cm. Argent doré sertis de grenats et camée en calcédoine représentant un personnage de profil. Photo : Courtet M.

 

LE GRENAT DE PERPIGNAN

La bijouterie du grenat (il s’agit ici d’almandin) décline ses atours dans l’ensemble du département et n’est pas cantonnée à la seule ville de Perpignan où exercent notamment Maxime Creuzet Romeu et André Laviose . Nous pouvons citer, entre autres, les maisons Calvet et Privat à Prades, Michel Marchis à Rivesaltes, Jean Paulignan à Thuir, Serge Pagès à Ille sur Têt, André Blot à Amélie-les-Bains, Francis Blanc à Argelès-sur-Mer…

Comme il a déjà été précisé, cette pierre est apparue très tôt sur les bijoux catalans. Cependant, c’est à partir du XVIIIème siècle qu’elle est utilisée de façon régulière et son emploi prend un véritable essor vers les années 1880 dans les productions perpignanaises de bijoux qui représentaient alors un secteur non négligeable dans l’économie locale. En 1927, Joseph Charpentier se référait à un discours prononcé par Octave Mengel pour situer l’importance de cette activité : “M. Octave Mengel, le premier président du Club Touriste… faisait allusion à une des industries les plus florissantes de notre pays : Les Grenats de Perpignan”.

En revanche, malgré des recherches effectuées aux archives de la ville de Perpignan et aux archives départementales, les traces d’exploitation de gisements de grenat dans les Pyrénées-Orientales apparaissent ténues. Selon une tradition locale, dès le XVIIIème siècle des almandins auraient été découverts et exploités dans les environs d’Estagel; les alluvions de l’Agly auraient également été prospectées. La législation régissant ce type d’exploitation ne comportait à l’époque aucune contrainte de déclaration auprès des autorités administratives, ce qui pourrait expliquer l’absence de trace officielle de cette activité. En fait, nous pouvons seulement nous référer à quelques documents anciens qui mentionnent le minéral mais qui souffrent d’imprécisions. Ainsi en 1728, par un courrier adressé au Duc de Bourbon, un certain Julien Puig I Costa demande l’autorisation de mener des recherches afin de “Renouveler l’entière connoissance que j’avoi des montagnes du Vallespir, Conflent et Capcir de la province et dépendances du Roussillon, et des mines qu’il y a d’or et d’argent, cuivre, étain, plomb, vif argent, soufre, alun, antimoine, grenat…”. Nous pouvons aussi citer le tome 1 de “Histoire naturelle du département des Pyrénées-Orientales” daté de 1861 dans lequel le naturaliste Louis Companyo écrit : “les grenats aux belles teintes coquelicot sont recherchés par les joailliers. Gisements : montagne de Costa Bona”. Un article rédigé par le bijoutier J. Charpentier en mars 1927 dans le mensuel “La tramontane” rappelle également une possible activité d’extraction : “La vogue vint avec la découverte et l’exploitation de gisements de grenats d’une beauté particulière dans les environs d’Estagel. Ces pierres, une fois taillées, furent montées à Perpignan et établirent par leur éclat leur réputation”, toutefois quelques lignes après il tempère l’importance de la découverte : “Si le grenat est très répandu dans les montagnes des Pyrénées-Orientales, il y est en petites quantités. L’exploitation entreprise ne rapportant pas suffisamment, fut abandonnée (…). Les bijoutiers durent se résoudre à faire venir de l’étranger ce que le sous-sol de leur pays leur donnait avec trop de parcimonie”.

Broche en grenat de Perpignan (environ 1890). Coll. Part. Photo : Institut du Grenat

Pour conclure cet aspect des grenats catalans, si des gisements locaux ont réellement été exploités leur production a dû être limitée, ponctuelle et très tôt il a été fait appel au renfort de gemmes extraites au Sri-Lanka, en Inde… (mais aussi en Birmanie selon J. Charpentier). Aujourd’hui, et depuis les années 1950, la taille est assurée par des lapidaires de la petite ville d’Idar-Oberstein en Allemagne, tandis qu’autrefois les pierres brutes étaient confiées à leurs confrères de Saint-Claude dans le Jura. L’appellation “Grenat de Perpignan” est une marque déposée garantissant les spécificités de la taille des pierres, un travail artisanal dans le respect de la tradition lors de leur montage et de la confection de leurs supports. Ce qui ne signifie en rien que les grenats ont été extraits localement.

Une pierre aux multiples facettes

Le grenat “taille Perpignan” se caractérise notamment par une face plane située en dessous de la pierre (absence de culasse). Une partie très fine, appelée feuilletis, est positionnée entre la dite face plane et le dessus. Contrairement à la plupart des autres gemmes, le dessus de la pierre est facetté intégralement à partir du feuilletis et ne comprend pas de table (partie plate située au sommet). La taille est une variante de celle dite en rose.

Bracelet en grenats de Perpignan (environ 1900) / Photo : Institut du Grenat

Le montage du grenat

Afin de maintenir solidement les pierres en place sur les bijoux, celles-ci doivent être serties. Dans la première phase du montage, le bijoutier confectionne un mince ruban d’or pourvu d’un petit rebord sur lequel chaque pierre viendra reposer. Le ruban est ensuite formé autour de la gemme et coupé à la dimension exacte de celle-ci pour être enfin soudé. Il est intéressant de souligner qu’au XIXème siècle certains bijoutiers catalans, tel Louis Quès à Prades (actif entre 1855 et 1889), cantonnaient leur travail dans “l’étirage de l’or”.

Dans une seconde étape, une fine plaque d’or est découpée selon la forme de la pierre à l’aide d’une bouterolle afin de réaliser le fond de la sertissure. Mais avant de souder l’ensemble, qui constituera le chaton, le bijoutier doit déposer sur le fond de celui-ci une matière réfléchissante appelée “paillon” (une feuille d’argent dont l’un des côtés a été recouvert d’un vernis rouge) qui renforcera la couleur de la gemme. Un nouveau procédé mis au point à Prades par le bijoutier Henri Privat marque une évolution dans le moyen employé pour la réflexion de la lumière. Il s’agit de la technique dite du “paillon émaillé”qui a fait l’objet d’un dépôt de brevet en 2003. Le bijoutier a par ailleurs obtenu cette même année le prix de “La société d’encouragement aux métiers d’art”.

Croix badine,or et grenat de Perpignan (environ 1860). Coll. Part. / Photo : Institut du Grenat

Notons que le procédé du paillon est utilisé depuis plus de deux mille ans. Plus proche de nous, il est signalé vers la fin du Moyen-Âge par une loi de 1355 qui interdisait aux joailliers français “de placer une mince feuille de métal sous les améthystes et les escarboucles (grenats) afin d’en exalter la couleur”… autres temps, autre mœurs!

Dans la dernière étape du montage, la pierre doit être maintenue dans le chaton. Pour ce faire, deux techniques ont été retenues :

● Le serti clos à griffes :
De petites “tiges” sont formées dans la partie supérieure de la sertissure puis rabattues sur le bord de la pierre. Elles sont ensuite retravaillées à l’aide d’une lime afin de préciser leurs contours, puis l’ensemble du métal est poli pour obtenir une finition d’aspect brillant.

● Le serti clos dressé :
Le bord de la sertissure est rabattu sur la pierre; travail long et minutieux qui demande beaucoup d’habileté. Le contour de la sertissure peut être ensuite retouché afin de parfaire sa régularité; puis comme pour la technique précédente, vient alors la dernière étape du polissage.

Une activité dynamique, mais soumise aux aléas de la conjoncture et des modes

C’est avec l’avènement de l’ère industrielle, et surtout dans la seconde moitié du XIXème siècle, qui correspond à l’augmentation du pouvoir d’achat d’une partie de la population, que la bijouterie du grenat va véritablement se développer. L’achat de bijoux, qui était autrefois souvent réservé aux classes privilégiées, commence à se démocratiser. Dans ce nouvel environnement les goûts pour les bijoux évoluent d’autant plus que cinq expositions universelles organisées à Paris entre 1855 et 1937, auxquelles des bijoutiers perpignanais rendent visite, permettent aux créateurs la confrontation de leurs idées et la diversification de leurs productions. Ces manifestations attirent une foule de visiteurs qui s’extasient devant de somptueuses parures, colliers, bracelets et autres boucles d’oreilles ornés de pierreries.

Le perpignanais Paul Velzy participe à l’exposition de 1889; parmi les bijoux présentés, le public peut admirer une broche de son atelier. Cette dernière se décline au travers d’une gerbe d’or et de grenat, composée de fleurs, d’épis de blé, maintenue par un ruban et autour de laquelle volette un papillon au corps nimbé de rouge; l’ensemble conjugue la préciosité des matières, le contraste des tonalités et la délicatesse de la composition.

Broche de l’atelier Velzy, en or et grenat de Perpignan, présentée à l’exposition universelle de 1889. Photo : Institut du Grenat

Entre les deux expositions universelles parisiennes de 1867 et 1889, la ville de Montpellier voit se tenir en 1885 “L’exposition des arts industriels” lors de laquelle la maison Charpentier présente ses créations. La dernière ville citée organise en 1927 une exposition internationale à laquelle participent les bijoutiers Ducommun et Laviose. En 1931, Joseph Charpentier se rend à l’exposition coloniale de Vincennes où il offre ses créations en grenat de Perpignan à la vue d’un public avide de beaux objets.

“L’âge d’or” du grenat à Perpignan semble se situer entre 1880 et 1920, avec cependant quelques à-coups. Ainsi vers le milieu des années 1880, Perpignan comptait 17 bijoutiers travaillant le grenat. Parmi ces derniers, Paul Velzy installé rue de l’Argenterie, ou encore André Calvet rue Saint-Dominique. Dès le début de cette même décennie, l’importance de la production permettait d’en exporter une partie à destination de l’Algérie et de l’Espagne. Vers 1890, les ateliers les plus dynamiques comptaient jusqu’à 20 ouvriers et apprentis. De nombreux autres fabricants travaillaient “en chambre” pour revendre ensuite leurs productions aux bijoutiers. Le tout début du XXème siècle correspond à une période de fort ralentissement puisque seulement 7 bijouteries tiennent encore commerce dans la ville en 1900. L’activité se poursuit néanmoins tant bien que mal avec 25 202 bijoux pour 199,78 kilogrammes d’or présentés au contrôle de la garantie en 1913.

La première guerre mondiale entraîne une nouvelle baisse de la production, et dès la fin du conflit un syndicat regroupant les ouvriers-bijoutiers commence à émerger; il dépose ses statuts le 11 novembre 1918. A partir de là, la profession intégrera de nombreux mutilés de guerre. Dans les mois qui suivent l’armistice, on note une nette embellie dans les productions de bijoux et quelques chiffres permettent de l’apprécier. En effet, le contrôleur de la garantie à Perpignan, M Combes, communique en 1927 les chiffres suivants : “35 877 objets en or pesant 589,97 kilogrammes ont été présentés au contrôle de la garantie en 1919 et 39 300 en 1920 », années fastes où l’on dénombre soixante ouvriers employés à monter le grenat. Le nombre de bijoutiers était remonté à 26 parmi lesquels Abdon Laviose, Louis Cussac, Baptiste Massé, Antoine Palau, Jean Velzy, ou encore la maison Thubert frères. Hélas les années suivantes connurent à nouveau un fléchissement brutal des productions dû à une baisse importante de la demande. Ce mouvement s’explique par un renchérissement sensible du coût de la main d’œuvre et des taxes appliquées aux objets de luxe, l’ensemble étant répercuté sur le prix des bijoux, mais aussi par un changement des goûts qui s’orientent vers de nouvelles façons de paraître. A cela s’ajoute un décret daté de la fin de l’année 1920 interdisant l’importation d’articles précieux considérés comme superflus, ce qui entraîna rapidement de sérieuses difficultés d’approvisionnement en grenat. Un bijoutier perpignanais déclarait en 1926 : “Notre bijou traditionnel, de même que la coiffe catalane, est en train de perdre de sa vogue et de sa mode”. La seconde guerre mondiale eut également un impact néfaste sur la bijouterie du grenat; le nombre de bijoutiers redescend à 16 en 1939 et cette période sombre devait perdurer jusqu’à la fin des années quarante. J Charpentier dépeint la situation en ces termes : “Depuis 1939, la fabrication a été en déclinant faute de matières premières et elle va disparaître complètement si l’on ne se penche pas à son secours”.

Cependant, à chaque crise succède un renouveau. Loin de se décourager face au déclin de leur activité, les bijoutiers catalans ont su faire preuve de réactivité et d’imagination. Ainsi, dès les années 1950 un air d’optimisme semble à nouveau souffler sur la bijouterie roussillonnaise. Hérités d’un savoir-faire ancien et parfaitement maîtrisé, les croix badines (nommées ainsi pour la présence d’une articulation dissimulée à l’arrière de la croix et qui entraîne un léger tremblement de l’ensemble), boucles d’oreilles, broches, pendentifs et autres parures côtoient peu à peu des bijoux aux formes nouvelles, suscitant l’intérêt d’une clientèle attentive à l’évolution des préceptes d’esthétique.

Un bijou réussi est une œuvre au travers de laquelle l’artisan aura su exprimer sa personnalité et son style” déclarait le joaillier parisien Raymond Templier (1891-1968), reconnu pour ses créations au design très moderne. Répondant aux sollicitations de la clientèle, des bijoutiers catalans ont aussi imposé leur savoir-faire, face à une demande qui se définissait parfois en fonction de critères locaux. Parmi les novateurs, qui surent allier tradition et modernité, Georges Lavaill contribua à diriger les productions sur des lignes résolument tournées vers l’avenir. De même, lors de diverses manifestations le grenat de Perpignan est de la partie. Tel fut le cas du très médiatisé “Voyage de Dali à Perpignan” le 27 août 1965. A cette occasion, les bijoutiers Henri et Pierre Ducommun offrirent au maître une bague représentant une mouche en or serti de grenat.

Bague de Dali. “Mosca Cosmica”

Photos : Institut du Grenat

L’organisation de l’événement, reprise dans les colonnes du journal L’indépendant, répondait à une mise en scène minutieuse : “Une fille (Marylise petit) viendra offrir, sur un coussin aux couleurs catalanes, une bague que le divin Dali remettra immédiatement à Gala (…) au milieu d’une véritable petite fortune de grenats catalans, ces bijoutiers ont choisi les pierres les plus pures”.

Bien qu’empreint d’une longue histoire, qui ne cessa de s’enrichir de nouvelles idées et de savoir-faire, le secteur a du mal à retrouver ses glorieuses heures d’antan. Face à l’évolution de la société vers la consommation de masse, les professionnels ont dû s’adapter. Dans les années 1980 les bijoutiers constituent un groupement d’achat qui a pour but l’acquisition des matières de base dans les meilleures conditions en réduisant le nombre d’intermédiaires. L’année 1991 voit naître l’association “Le grenat de Perpignan”; soutenue par le ministère de l’artisanat et la chambre des métiers, elle regroupe une partie des artisans-fabricants et assure la mise en valeur d’un savoir-faire alliant la garantie d’un travail de grande qualité et le respect de la tradition. En 2006, cette association adopte le statut de confrérie et compte 11 membres. De plus, “L’institut du Grenat” est créé en 2009. Très impliqué dans la promotion de la bijouterie du Roussillon et voulant préserver cet héritage, il participe chaque année à l’organisation de la fête du grenat de Perpignan (la Saint-Eloi, patron des bijoutiers), organise des conférences et créé des sites Internet. Nous lui devons la tenue de l’exposition “Le bijou en grenat dans la modernité (Art Nouveau-Art Déco)” du 25 novembre 2014 au 4 janvier 2015, à la Casa Xanxo à Perpignan. L’institut met également tout en œuvre pour constituer un fonds de documentations : socle de connaissances de la bijouterie locale, indispensable pour une présentation pédagogique, claire et attractive de cette activité intimement liée au patrimoine des Pyrénées-Orientales. En complément du fonds documentaire, notamment par l’acquisition d’outils et de bijoux anciens, l’institut s’efforce de créer des conditions favorables à la mise en place d’un espace d’exposition permanente dédié au grenat de Perpignan. Enfin, depuis le mois de novembre 2018, une IG (Indication géographique) a été attribuée au « Grenat de Perpignan » par l’Institut National de la Propriété Industrielle.

Confirmant l’attachement du public à un secteur de la bijouterie marqué par des valeurs traditionnelles, l’apparition de pièces anciennes et de qualité sur le marché continue à séduire de nombreux amateurs. Ainsi, lors d’une vente aux enchères organisée à Nîmes le six octobre 2012, un ensemble en or et vermeil serti de grenats de Perpignan, daté du XIXème siècle, composé d’une broche, d’une croix et d’une paire de boucles d’oreilles, estimé 1000 euros, suscitait une bataille d’enchères pour terminer sa course à 13200 euros.

Corbeille de fleurs, or et grenat de Perpignan. Bijou présenté a l’Exposition Internationale de Paris 1937, Coll. Gil et Jean

 
REMERCIEMENTS
Je remercie Gian Carlo Parodi et Cristiano Ferraris du Muséum National d’Histoire Naturelle pour l’analyse et le commentaire se rapportant à un grenat rouge de Latour-de-France.
Mes plus vifs remerciements vont à Sébastien Champion pour la localisation, sur la carte des Pyrénées-Orientales, de divers endroits où l’on peut trouver des grenats et aussi pour les nombreuses photos d’échantillons qu’il a bien voulu réaliser. Je n’oublie pas son aide précieuse à la relecture de certains passages du texte, me permettant ainsi d’apporter des précisions qui m’avaient échappées. Je salue enfin la patience dont il a fait preuve à mon égard, alors que je lui confiais la mise en page de l’article tout en lui demandant d’incessantes modifications. Infatigable compagnon de prospection, c’est grâce à son acharnement que d’anciennes occurrences, tombées dans l’oubli, ont été redécouvertes et que d’autres, jusqu’alors inconnues, se sont ajoutées à une liste déjà bien fournie.
 
BIBLIOGRAPHIE
● Abade E. “Grenat, petite histoire d’une grande tradition”. L’Indépendant. 1991.
● Aymar J, Berbain C, Favreau G : “Mines et minéraux des Pyrénées-Orientales” (2005)
● Berbain C, Goujou JC, Guitard G : “Le massif de Costabonne. Pyrénées-Orientales” Le Règne Minéral n°32 (mars-avril 2000)
● Charpentier J : “Les grenats” L’Indépendant (1923)
● Charpentier J : “Les grenats de Perpignan” La Tramontane (mars 1927, pages 64 à 66)
● Companyo L : “Histoire naturelle des Pyrénées-Orientales” Tome 1 (pages 344 et 345) Imprimerie JB Alzine (1861)
● Desautels Paul E : “L’univers des pierres précieuses” Editions Arthaud, Paris (1973)
● Ernst A et Heiniger J : “Le grand livre des Bijoux” Edita S.A, Lausanne (1974)
● Fonquernie L : “Grenats de Perpignan, bijoux du Roussillon” Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales (2006)
● Guitard G : “Catalogue raisonné de la collection de minéralogie régionale du Centre Européen de Recherches Préhistoriques de Tautavel” (2010)
● Thomas C : “Grenats de Perpignan, les artisans de la tradition” Terres Catalanes n°15 (1998)
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2 réponses à Le grenat, une pierre aux facettes un peu catalanes.

  1. Margerit dit :

    Très bon article bien renseigné et instructif .
    Cela démontre bien la variété du grenat et parfois sa grande rareté , les pierres fines ont longtemps été dans l’ombre des précieuses , comme indiqué certains grenats ou d’autres minéraux sont infiniment plus rares , surtout les gros sujets , et tout aussi beaux que des pierres “précieuses” comme l’émeraude ou le saphir , mais cela est en train de changer petit à petit et ce genre d’article contribue à cela.
    Ps : le travail des joaillers et les photos sont magnifiques .

  2. courtet dit :

    Bonjour et merci pour votre commentaire.
    J’aimerais partager votre optimisme concernant un changement de statut qui serait en cours au sujet des pierres fines. Je crains hélas, et ce pour diverses raisons, que ces dernières demeurent encore pour longtemps dans l’ombre de leurs prestigieuses “grandes sœurs”.
    Maurice Courtet

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