Introduction
La bonneterie comprend en général deux grands domaines de produits, les sous vêtements et les bas et chaussettes, domaines qui s’élargissent à la fin du XIXe s. avec les articles de fantaisie dus aux évolutions de la mode, au sport et aux vêtements d’intérieurs. Les Pyrénées françaises ont été une région favorable depuis des siècles à ce genre d’articles et Perpignan, capitale des Pyrénées-Orientales a connu de nombreuses entreprises dédiées à ces ouvrages. Profitant de l’opportunité de pouvoir gracieusement étudier un fonds inédit d’archives privées, force est de constater l’importance technique, dynamique et lucrative de ce secteur industriel dans les périodes récentes des années 1950/1960, avec l’exemple de l’entreprise crée à Perpignan par Henri Claude Diogène.
Les premières entreprises Diogène en France et en Catalogne
La lignée Diogène établie à Perpignan s’étend sur quatre générations. Henri Diogène né à Bagnères de Bigorre (Hautes-Pyrénées) le 11 avril 1864, en est le premier représentant. Fils de Claude et de Marie Laffranque, il demeure initialement à Barcelone où il exerce la profession de commerçant. Il crée à Barcelone une usine de tricotages située rue Mariano Cubi, puis rue Alfonse XII, dont un dépôt de marque est répertorié en 1910. Toutefois, l’entreprise familiale semble alors constituée de trois établissements, situés l’un à Bagnères de Bigorre, l’autre à Barcelone et le troisième à Perpignan.
Le siège social des établissements Diogène est situé à Bruxelles selon l’annuaire de 1923. Le président du CA est le fondateur Henri. L’administrateur délégué est le fils aîné Louis, né en 1886, gérant des établissements Diogène implantés en France à Perpignan, enregistrés au registre du commerce le 24 août 1920, et situés rue André Bosch, à l’angle du Boulevard des Pyrénées. Le fils cadet du fondateur, Diogène Henri-Claude, né à Bagnères de Bigorre le 2 février 1892, donné comme industriel, est inscrit au registre des étrangers vivant à Barcelone pour la période 1917-1934.
Toutefois, à compter de 1928, Louis, fils aîné, résilie ses fonctions pour raisons de santé et demeure simple administrateur de la société. Cette branche familiale demeurera ensuite à Barcelone dans la bonneterie, où le descendant à la troisième génération, Louis Diogène Dufour possède de fait sa propre fabrique de bonneterie, sous la marque Luis Diogène dans les années 1950
Par ailleurs, en 1928 également, l’administration des usines de Bagnères de Bigorre et de Perpignan est unifiée : « M. le président expose qu’en vue d’une concentration industrielle et dans un but d’unification administrative, M. Henri-Claude Diogène assurera la direction des usines de Bagnères de Bigorre et de Perpignan». Il est toutefois proposé de constituer une société indépendante pour l’exploitation de l’usine de Bagnères afin de rééquilibrer les charges des différents établissements. Dans le même temps, les besoins en trésorerie entraînent une réorganisation du bureau de Paris, afin d’écouler dans cette agence commerciale les productions perpignanaises.
L’usine de Perpignan participe probablement en 1929 aux expositions de Séville et de Barcelone aux cotés de la firme de Barcelone. La « Unión de fabricantes de géneros de punto » de Barcelone expose au Palais des Arts textiles lors de l’Exposition Internationale de Barcelone en 1929. Cette entreprise dépose de 1915 à 1931 un grand nombre de marques et modèles de bonneterie, prouvant son important dynamisme : cravate «double» modèle suisse, ceinture slip-Dio, fil et gomme avec coton mercerisé ou laine ou autre textile, « Slip-Dio », chapeau tricoté «Calot», coiffure pour homme forme « casque », chapeau tricoté pour dames et fillettes, modèle de sous-vêtements pour dames hommes et enfants sous dénomination « combinaison culotte Slip-Dio », sous-vêtement pour Dames homme et enfants de forme plastique spéciale « Slip-Dio », « soutien-gorge Dio », plastron pour hommes dames et enfants «nommé « Plastron-Dio ». On notera aussi en 1930 le dépôt d’un modèle de pull-over avec dessins représentant l’allégorie de la traversée de l’Atlantique par Coste et Bellonte, comprenant sur un des cotés la tour Eiffel, au centre un avion, et le point d’interrogation, de l’autre coté les gratte-ciels de New-York. L’entreprise perpignanaise semble toutefois ne pas échapper au redressement financier, aggravé par la crise de 1929 : le dernier modèle de plastron pour hommes-dames et enfants nommé « Plastron-Dio » date du 6 novembre 1931, l’entreprise perpignanaise disparaissant ensuite pour réapparaître officiellement en 1940.
La création de l’entreprise Tricot-Dio à Perpignan (1940)
La période trouble de la fin des années 1930 où le cadet Henri-Claude Diogène est installé à Barcelone amène à nouveau ce dernier à Perpignan à compter de 1939. Cet industriel remonte une entreprise au 7 de la place Desprès au centre de la ville de Perpignan, à la fin de 1940, avec ses anciens métiers retrouvés chez le ferrailleur. Immatriculé au registre des métiers le 10 mars 1941 comme exerçant le métier de tricotage, il crée l’entreprise «DIOGENE H.» afin de fabriquer des cravates tricotées. Il expérimente le tricot élastique relevant à cette époque d’une innovation technique, et invente un procédé de tissage indémaillable à base des nouvelles fibres synthétiques. La production comprend une gamme d’articles de bonneterie d’une finesse comparable à la soie.
Le 6 juin 1946, l’entreprise change de nom et devient «Tricot-Dio». Elle lance en 1949 un procédé original de tricotage en fil lastex, lui permettant de mettre sur le marché une gaine au nom hispanique : la gaine Chiquita, présentée comme la plus petite gaine du monde et dont le brevet français est déposé le 28 juin 1949. Cette invention dès lors copiée, entraîne H.C. Diogène à faire fabriquer par des entreprises à l’étranger (Espagne, Italie, Pays bas, Scandinavie, Etats-Unis..) la fameuse gaine, ce qui lui permet d’exploiter financièrement son brevet. Il ne cesse d’inventer de nouveaux modèles en bonneterie de luxe ou en bonneterie médicale comme des genouillères et des bas à varices.
Preuve de l’importance économique grandissante de l’entreprise perpignanaise, en 1953 l’entreprise est transférée dans un local plus vaste de la rue du docteur Rives (quartier Saint-Martin), à la place de la manufacture de sandales Gélis. Ce local construit en 1947 par l’architecte François Mercader, est l’une des seules usines qui ne s’écroula pas sous la neige lors de l’hiver 1954. Le quartier vient d’être récemment loti parla Société Foncière Roussillonnaise, et l’on y retrouve d’autres entreprises, notamment de bonneterie, comme les établissements Montana. En 1957 les commandes continuent d’affluer et Diogène décide de s’agrandir en surélevant d’un étage une partie du bâtiment. L’usine comprend alors 12 machines à tricoter manuelles pour les gaines, 18 petits métiers circulaires motorisés pour la fabrication des cravates ainsi qu’un atelier de confection pour le finissage des gaines. Un secrétariat efficace à Perpignan et un bureau des ventes à Paris permettent démarcher les commerces et maisons de luxe. Diogène renouvelle constamment ses collections. Devant les risques constant de concurrence, il exprime tout son bon sens : « pour ma part j’ai prévu seulement des articles spéciaux, dans lesquels je ne puis avoir de concurrents, et dans le cas ou il s’en présenterait un, je lui abandonne l’article et j’en fais un autre inédit. (Archives privées, année 1960)»
L’essor européen des marques locales
Il faut distinguer le développement local de l’entreprise qui s’effectue en majorité sur le marché français, conquis grâce à d’importantes campagnes de publicité, et le développement de la marque qui rayonne sur une partie du monde occidental entre 1950 et 1960. L’idée la plus remarquable de H.C.Diogène est de procéder à l’enregistrement de toutes ses marques et modèles auprès du cabinet parisien Bert et de Keravenant, spécialisés dans ce domaine. Ainsi protégées, les productions de Perpignan peuvent faire l’objet de contrats de production exclusive lorsque survient l’idée à un industriel étranger de vouloir les copier.
Ainsi, dès 1950, une convention avec M.Cornellio Borroni de Milan, cède l’usage de la gaine Chiquita, en contrepartie de versements sur les ventes (25% sur les 10 000 premières pièces, 15 % sur le supplément sans limitation. C’est ensuite l’entreprise Villafranca d’Eugenio Audisio à Turin qui fabriquera la gaine pour l’Italie. En Espagne, Diogène a un allié tout trouvé à Barcelone, son frère Luis (secondé par Luis Diogène-Dufour, son fils) resté à la tète de l’entrepris catalane, afin de fabriquer et commercialiser la Chiquita. En novembre 1950, Diogène organise à Barcelone la production de matières premières (lastex) car il est impossible d’en importer. Toutefois, afin de répondre aux attentes du marché espagnol, la gaine Chiquita, la gaine « Short Dio », les bas «Laxtex-Dio», les bas à varice ainsi qu’une petite bourse fantaisie du nom de «Bad d’len» sont aussi fabriqués par la maison Miquel Massuet à Arenys de Mar (Catalogne) dès 1952. En 1953, à la demande de la manufacture de rubans et tissu élastiques Pichon frères à Saint-Etienne, Diogène met en œuvre la fabrication de la fameuse ceinture Gibaud chez Diogène S.A. à Barcelone qui devient le fabricant et distributeur exclusif pour l’Espagne.
Au Portugal Diogène se rapproche de la Maison Pinto de Lima à Lisbonne pour y vendre son nouveau modèle de gaine en filés lastex, et essayer de concurrencer la maison Scandale avec qui Pinto de Lima est en pourparlers. En mars 1950, le dépôt de brevet mondial est en cours. Suite à une annonce parue dans le Monde le 2 nov. 1950, Diogène prends des renseignements afin d’entreprendre l’achat d’une fabrique à Oeiras, à10 km de Lisbonne. Le projet est d’y importer des machines suisses pour la nouvelle fabrication des gaines. L’affaire est discutée avec ses associés de Barcelone. Entre temps La gaine Chiquita est déposée au registre de la propriété industrielle en 1953 pour contrecarrer l’entreprise Augusto Teixera & Ca, dépositaire du brevet pour ce pays. Le dépôt de marque au Portugal permet de vendre dans les colonies portugaises : Angola, Mozambique, Cap Vert, et Guinée. Le projet d’achat d’une entreprise sur place est toutefois abandonné.
En Suisse, L.Davidoff, de la maison VITA et Cie à Genève, fabricant de corsets, gaines et soutien-gorge traite avec Diogène dès juillet 1951 pour la fabrication de la gaine Chiquita. Sa fabrication est accordée sous la marque Karina. Un contact est trouvé auprès d’un fabricant possédant une fabrique de tricots élastiques à Saint-Blaise près de Lausanne afin de produire des bas à varices. Il faut toutefois trouver la machine nécessaire à la production des bas élastiques, et les modalités d’expansion et/ou d’exportation dans différents pays voisins dela Suisse. La machine à acquérir est un métier Komet links-links (mailles retournées). Les bas sont fabriqués et Diogène continue ses rapports commerciaux en proposant la fabrication de la ceinture slip-Dio avec fils lastex, pour homme et pour femme. Il envoie même un tout nouvel article qui viendra concurrencer la fameuse ceinture GIBAUD. Une convention est signée entre Diogène et Virchaux qui début1952 a acquis deux machines. Le contrat prévoit des royalties qui dans le cas de la vente en Angleterre devraient être rabaissés à 6% pour obtenir un prix convenable pour un bon écoulement de la marchandise. (lettre 17 mars 52, P.Virchaux à Diogène).
A cette date la zone de vente est envisagée : Allemagne, Belgique, Hollande, Luxembourg, pays scandinaves, pays balkaniques et Turquie. Pour l’Angleterre, la solution serait de faire fabriquer directement là bas. Le 16 mai 52, Diogène reçoit le premier double de livraison effectuée pour l’Allemagne (Francfort) Toutefois, dès septembre 54, Virchaux dénonce totalement le contrat. Le brevet suisse de Diogène, après une expertise effectuée par le chef de l’Institut pour l’industrie textile de l’école polytechnique à Zurich, est jugé comme nul. Dans ces conditions Virchaux se dégage de tout contrat d’engagement. La situation se rétablis toutefois, une baisse des royalties à 5% permet probablement de débloquer la situation. En juin 55 Virchaux annonce ne plus fabriquer les bas en mailles retournées (les clients préfèrent les bas maille unie, car il se voit moins sur la jambe et donne un article plus fin (lettre Virchaux 5 juillet 1955). De plus il ne fera désormais plus que des ceintures chauffe-reins.
Pour les Pays-Bas, les contacts sont établis en 1955 avec B.W.Reinders, fabricants de cravates d’étoffes depuis 1890 à Amsterdam avec envoi de cravates tricot et de bretelles Diolastik, suite à l’article Diolastik paru dans « Adam Chemisier ».
En Autriche, une entente est trouvée en 1952 avec une personne rencontrée dans le train entre Perpignan et Lyon, Mr Nossek Herbert, qui travaille pour le ministère des communications et des entreprises nationalisées. Diogène envoie des échantillons de gaines. Pourtant il semble que le prix des gaines soit trop cher pour ce pays et comme le souligne Nossek : «l’Autrichienne est une femme un peu grosse et elle aime beaucoup la bonne cuisine et les gâteaux, elle préfère de manger que s’habiller !»