« En 1810 et les deux années suivantes Perpignan offrit constamment les mêmes scènes, les mêmes dégoûts et les mêmes encombrements ; c’était à vrai dire la critique amère de la guerre si injustement faite aux Catalans. Combien de fois la position misérable des prisonniers fit souvenir les Roussillonnais, qu’à une autre époque, leurs pères proscrits en France, avaient trouvé en Catalogne un accueil hospitalier. Combien de fois les regards furent attristés par l’étalage des vases sacrés, volés en Espagne et colportés à Perpignan. Ces ventes publiquement faites sans que la police s’en préoccupât, révoltaient bien des cœurs. Sans doute parmi ces derniers il s’en trouvait de froids et d’indifférents pour les pratiques religieuses, mais au fond tous étaient catholiques, et ils respectaient les objets exclusivement consacrés au culte. Ces spoliations sacrilèges opérées à la dérobée, ces confiscations arbitraires ordonnées à leur profit par quelques chefs de corps, s’abritaient malheureusement derrière les réquisitions de guerre ordonnées avec plus ou moins de sévérité par le général en chef, pour alimenter les magasins, la caisse militaire, et pour punir quelquefois les populations insurgées. C’est ainsi que la statue en argent de saint Narcisse, si vénérée à Gérone, fut enlevée du sanctuaire de la Cathédrale, pour être fondue à la Monnaie de Perpignan.
Cette impolitique et odieuse confiscation ne produisit au trésor que la modique somme de 11.000 francs et elle provoqua l’assassinat de quelques milliers de soldats, qu’on eut laissé cheminer sur la voie publique. Tant de dédains pour la religion, tant de dureté pour les prêtres, loin d’intimider les Catalans, les exaspéra. De leur côté les Roussillonnais compatirent aux maux de leurs voisins, et bientôt l’Empereur ne compta plus en Roussillon, pour adhérer à sa politique, que les hommes intimidés par les périls de l’inconnu, et la légion, il faut le dire, très nombreuse des fonctionnaires publics et des employés du gouvernement et de l’armée. »
Mémoires de Jaubert de Passa publiées en 1897 par l’abbé Torreilles.