Discours de M.Benoit, maire de Perpignan lors de l’inauguration du monument “Muntanyes Regalades” en 1910.
“Ce Catalan, au costume traditionnel, crânement coiffé de la barretina ancestrale, avec son masque énergique et les yeux dans le rêve, chantant accompagné de sa guitare, la plus populaire de nos mélodies, n’est-ce point l’âme d’autrefois qui revit, l’âme d’aujourd’hui qui tressaille, l’âme de demain qui se devine ?
Il est le symbole de la race que rien n’a pu affaiblir, qui s’affirme au contraire de plus en plus dans sa vitalité. Il résume en lui la force, l’énergie, le courage, l’abnégation et la fierté orgueilleuse tempérée par une bonté inépuisable. Cette mélodie qui s’échappe de son cœur et de ses lèvres, c’est devant le Canigou qu’il vient la chanter, pour que, répercutée par les échos nombreux, elle puisse de tous être entendue, pour que telles les nymphes finement estompées sur le bas-relief, les gentes Catalanes aux yeux pleins de griserie, aux fronts nimbés d’ébène, puissent, émerveillées, écouter la douce et pure chanson.
Ce Canigou, évocateur de puissance, ce Canigou au front de neige, que les rayons du soleil ardent du Roussillon n’arrivent point à fondre alors qu’ils font mûrir à ses pieds les fruits les plus exquis, qu’ils apportent la fertilité aux prairies verdoyantes, qu’ils dorent les grappes vermeilles d’où s’échappe le vin généreux, n’est-ce point un symbole, n’est-ce point l’évocation d’une contrée riche et féconde sur laquelle la nature s’est plu à jeter sans compter tout ce qu’elle a de beau, tout ce qu’elle a de merveilleux, d’une contrée où l’œil peut embrasser tout à coup les montagnes altières, les plaines fertiles el le bleu infini de la mer.
N’avez-vous point la sensation d’entendre : Le bruit des eaux, creusant les roches. L’adieu des vaisseaux inclines. L’appel des laboureurs, le son perdu des cloches. Ah ! certes pour un monument aussi original, pour donner à l’idée le relief qui lui convenait, il fallait un cadre particulièrement grandiose et le choix, ne pouvait être meilleur que celui qui a été fait. C’est bien dans ce square témoin des jeux bruyants des bambins aux joues roses, confident des rêveries des espoirs de la jeunesse, consolateur des chagrins, des soucis, des regrets, de l’amertume de l’âge le plus mûr, que devait s’élever, burinée dans le marbre, l’âme catalane, pour que le vent du soir à la fin d’un beau jour, apporte à tous les cœurs le charme berceur de la vieille chanson.
C’est bien aussi à côté des platanes centenaires, orgueil de la cité, que le monument devait se placer pour que le murmure de la foule, les cliquetis des sabres, les déclarations de serments éternels, le bruissement léger de baisers qui s’envolent, les clameurs joyeuses du Carnaval, les sons vibrants des musiques, viennent frapper l’oreille du berger de Sudre et lui répéter que la tradition vit encore et que les petits-fils se souviennent des aïeux.”