Courte relation de la visite de Monseigneur le marquis de Paulmy dans la province de Roussillon. 1752.

H.Rigaud, Portrait du Comte d'Argenson.

H.Rigaud, Portrait du Comte d’Argenson.

Marc-Pierre de Voyer de Paulmy,comte d’Argenson (1696-1764), ministre de la guerre et lieutenant général des armées, fondateur de l’école militaire, ami de la Pompadour fait une visite des places importantes du Roussillon en 1752 accompagné par Joseph Augustin, comte de Mailly. Celui-ci  y a été exilé la même année, avec la charge de commandant en chef du Roussillon. Ce sont donc deux personnages importants et proches parents qui se retrouvent.

L’arrivée de Monseigneur le marquis de Paulmy à cette Province a été le 31 août dernier avant que ce seigneur n’arriva à Salces, M. le Comte de Mailly commandant de cette Province qui lui allait au devant, suivi de plusieurs gentils hommes dans leurs carrosses, on commença a lui faire des fêtes à Salces. Il y avait une députation de syndics de la ville de Perpignan qui l’y haranguèrent avant d’arriver à Perpignan. On lui présenta une compagnie de cavalerie composée par le corps des marchands, qui s’étaient à cet effet habillés uniformément en pourpre, et qui ont été à la suite du ministre dans toute sa tournée de la Province. En arrivant à Perpignan, l’état major s’est présenté à la barrière et les consuls de cette ville, précédés de tous les corps de métiers avec leurs étendards, lui ont fait un court compliment à la dernière porte de la ville. Il est entré ainsi triomphant avec une triple décharge de toute l’artillerie de cette place et toute la garnison sous les armes, et comme il était déjà nuit, toutes les fenêtres étaient illuminées. On avait pratiqué à la place de la Loge un cirque ou une espèce de salon de compagnie, orné des plus belles peintures, de lanternes ; flambeaux et de certaines pyramides garnies de lampions le tout illuminé au mieux. M. le Comte de Mailly avait aussi ménagé sur la façade de son hôtel une illumination des plus brillantes. Elles représentaient de grandes pyramides toutes en feu avec les armoiries de M.de Paulmy en transparent. La fête et le repas qu’il a reçu chez le Comte de Mailly furent des plus élégants et des plus somptueux.

Le Comte de Mailly en 1781, avec en fond le Port-Vendres. Musée Hyacinthe Rigaud, Perpignan.

Le Comte de Mailly en 1781, avec en fond le Port-Vendres. Musée Hyacinthe Rigaud, Perpignan.

 Le lendemain 1er septembre, le ministre fut complimenté par tous les corps de la ville. Ce furent les commissaires du Conseil Souverain du Roussillon qui commencèrent et chaque corps suivit ensuite par ordre et suivant son rang. Et ce seigneur répondit à tous avec toute la politesse imaginable, et cette affabilité qui lui est reconnue si naturelle. Ce même jour il visita la place de la garnison et à la suite de ces travaux les comédiens lui donnèrent un divertissement du mieux qu’il fut possible. La salle de spectacle nouvellement pratiquée de cette ville fut extrêmement de son goût. Toutes les décorations lui plurent aussi beaucoup. Les illuminations et les danses furent dans cette journée la dernière démonstration de joie que donnèrent les habitants de cette ville, de posséder leur ministre.

blason de M. de Balanda

blason de M. de Balanda

Le 3 après dîner, ce seigneur partit pour Collioure où il fut reçu avec de grandes acclamations du peuple qui fut au devant bien hors de la ville, de grands cris de joie de: Vive le Roy ! Il entra dans cette ville de même qu’à Perpignan, avec une triple charge d’artillerie de la garnison. On a eu soin aussi dans cette ville d’y pratiquer des illuminations. D’abord qu’il fut arrivé au château, les messieurs de la garnison s’en furent le complimenter, ensuite Messieurs Balanda, Collarès, et Rovira juges royaux de Collioure, le premier d’eux, accesseur de l’Amirauté, s’étant transportés exprès dans cette ville pour rendre leurs devoirs à Monsieur de Paulmy, l’haranguèrent. Les consuls de la ville en firent de même et bien d’autres personnes. M. Parron, commandant de cette place marqua toute son attention dans les fêtes qu’il donna. Comme Collioure est une place de guerre qui est sur le bord de la mer, on se prépara le lendemain 4 septembre à ce seigneur une petite fête navale qui fut des plus gracieuses. On avait préparé à cet effet un bateau qu’on avait peint au dernier goût et auquel on avait placé un dais à quatre colonnes tout garni avec de taffetas blanc, et couleur de rose. Les bateliers étaient habillés en rouge et garnis en rubans verts. Ce bateau était encore garni de plusieurs autres bandelettes ou petits étendards de taffetas blanc et couleur de rose. Pour accompagner le bateau du ministre, on avait garni pareillement de bandelettes et peint fort galamment neuf autres bateaux. Les rameurs de l’un de ces bateaux étaient habillés en bleu et ce bateau fut destiné pour l’artillerie. Ceux des autres huit bateaux étaient tous habillés en blanc, deux de ces bateaux servirent aux musiciens qui donnèrent  sans cesse les plaisirs de la musique tout le temps qu’on fut sur la mer et les autres six servirent pour garder et servir de cortège. Mrs de Balanda, Collarès et Rovira, juges susdits de Collioure, pratiquèrent un bateau qui représentait l’empire de Neptune sur la mer. Ce bateau qui était aussi peint, était aussi garni avec de beaux arcs de triomphes en laurier et les plus beaux emblèmes.

Marc-Pierre de Voyer, comte d'Argenson

Marc-Pierre de Voyer, comte d’Argenson

Les rameurs étaient également habillés en maures et les bateliers en turcs. Il y avait au surplus un homme habillé en Neptune, accompagné de deux enfants qui figuraient deux tritons. Tous étaient ainsi prêts pour la marche et comme on attendait le ministre qui passait inspection de la place, les bateliers et les rameurs des différents bateaux s’exerçaient par des joutes qui sont une espèce de combat ou lutte navale avec des piques. Ces jeux étaient des plus amusants. Lorsque M. de Paulmy fut entré dans son bateau, celui des juges susdits s’approcha et le Neptune qui y était, présenta un bouquet dans une coquille au ministre qui le reçut avec toute l’amabilité imaginable. Dès lors on se mit en marche, le bateau de l’artillerie allait au devant, et le canon tirait presque toujours sans discontinuer. Le bateau de l’Amirauté suivait ensuite et puis celui de M. de Paulmy, de M. le comte de Mailly et autres messieurs du cortège du ministre. Les autres huit bateaux étaient à l’entour. Ce fut dans cet ordre, au son de la musique, et au bruit des canons qu’on vogua de Collioure à Port-Vendres.

Port-Vendres au milieu du XVIIIe s.

Port-Vendres au milieu du XVIIIe s.

Lorsque le ministre arriva à ce port, il le visita et y reçut ensuite une halte des plus élégantes dans un berceau tout couvert de feuilles que M. Rouvière, commandant de ce port, y avait pratiqué exprès pour cette fête. L’on dansa après dîner au-devant du feuillage et on se rembarqua ensuite dans le même ordre pour revenir à Collioure. Ce même soir, le fort Saint-Elme fut visité, les danses et les illuminations furent des plus divertissantes à Collioure, et le lendemain ce seigneur partit de cette ville après avoir témoigné toute sorte de satisfaction des devoirs qu’on venait de lui rendre. Il visite actuellement les places du Conflent et de la Cerdagne française. On croit qu’il sera de retour le 11 septembre dans Perpignan où l’on se dispose à redoubler les fêtes pendant les trois jours de séjour qu’il fera dans cette capitale pour se reposer de la fatigue de son voyage. 

 

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