La dentelle du Roussillon, un artisanat en désuétude au milieu du XIXe s.

Nous devons à la Société Agricole Scientifique et Littéraire des P.O. d’avoir, sous la Restauration, essayé de raviver un certain nombre de productions locales comme la dentelle. Ainsi lors du concours de 1844, il fut proposé d’octroyer une médaille d’argent à l’ouvrière du département qui présenterait des dentelles catalanes de la plus grande largeur et de la meilleure confection, et dont l’échantillon aura au moins 75 centimètres de longueur.

Voyons quel fut le résultat de ce concours et intéressons nous aux remarques judicieuses de son rapporteur. Ces remarques sont encore d’actualité dans un grand nombre de productions artisanales de notre département.

Le rapport est tiré du bulletin de la S.A.S.L. des P.O., volume VI (2), 1845, pp.275-280.

dentellières catalanes

dentellières catalanes

M. Fraisse aîné, rapporteur

Dentelle roussillonnaise

Dentelle roussillonnaise

 

 

 

 

 

 

Plusieurs échantillons de dentelles catalanes ont été présentés à la Commission. Le dessin de ces dentelles était peu varié.

Nous avons appris, depuis notre décision, que toutes les ouvrières qui ont concouru appartiennent à l’ancienne génération, et qu’elles ont repris ce travail, probablement, pour répondre à l’appel de la Société.

Aucun élève nouveau ne se forme, ce qui nous donne peu d’espoir de voir renaître dans le pays une industrie qui y occupait un rang distingué.

Nous aurons eu la douleur de voir disparaître, successivement, la fabrication des draps, des bonnets, des toiles, des dentelles, etc., sans aucune compensation.

La Société, par les prix qu’elle distribue à toutes les branches, a pour but de ranimer le goût de l’industrie, et d’introduire dans l’agriculture, les perfectionnements qui peuvent lui faire tenir dans notre département le rang qu’elle occupe dans d’autres, et particulièrement dans le département du Nord, que nous aurons à prendre plus d’une fois pour modèle.

La dentelle, présente dans le costume roussillonnais

La dentelle, présente dans le costume roussillonnais

Autrefois de nombreux ateliers pour la confection des dentelles étaient ouverts dans la ville et dans beaucoup de villages du Roussillon ; les jeunes filles y étaient admises dès l’âge le plus tendre : une ou deux maîtresses leur enseignaient à faire la dentelle moyennant une légère rétribution. Lorsque le travail des élèves était assez bien fait pour être mis en vente, ce qui ne tardait pas, le produit en était partagé entre l’élève et la maîtresse, tantôt à moitié, tantôt au tiers, selon l’habileté de l’élève. Des voyageurs passaient à des époques déterminées pour acheter tout ce qui était confectionné.
Il est à remarquer que dans la Flandre, les dentelles sont encore exécutées dans des ateliers, aux mêmes conditions qu’elles l’étaient ici et en Catalogne. Cette fabrication n’avait-elle pas été apportée par les Espagnols en Flandre, lorsqu’ils en étaient les maîtres ? ou plutôt ne l’ont-ils pas apprise des Flamands ?

Ce qu’il y a de particulier, c’est que le coussin ou métier, qui sert en Flandre, est le même que celui d’Espagne ; le patron est fixé autour du coussin, tandis que, dans le Roussillon, le patron est fixé sur un long coussin, dans le sens de sa longueur. D’après le procédé flamand, la dentelle se déroule à mesure qu’elle est fabriquée, et tombe dans une boîte, sous le coussin, tandis que, d’après le nôtre, il faut démonter chaque fois qu’on est arrivé au bas du patron : c’est plus long ; mais cet inconvénient se trouve bien compensé par la position commode dans laquelle se tiennent nos ouvrières avec un coussin presque droit, tandis qu’avec le coussin flamand, l’ouvrière doit se tenir courbée ; il est douteux même qu’elle puisse se livrer à un travail si délicat, si elle n’est pas douée d’une excellente vue.

Le vide que le manque d’ateliers pareils a laissé se fait sentir tous les jours ; les petites filles qui pourraient travailler aux dentelles sont désœuvrées et à charge à leurs parents, à qui elles viendraient au contraire en aide ; il faudrait tenter de rétablir ces ateliers par tous les moyens possibles, et cela dans un but utile.

Les dentelles ont baissé de prix, depuis l’époque où tous ces ateliers existaient, dira-t-on, et ce sera un obstacle à leur rétablissement. Il est vrai que la baisse des prix est très forte, puisqu’elle est du tiers de la valeur ; mais elle se trouve compensée avec avantage par la différence du prix du fil. Autrefois le fil employé à faire de la dentelle était du fil d’Orne, dont le prix variait de 6 à 12 fr., selon la qualité, ce qui portait l’écheveau à environ 60 c. à 1 f. Aujourd’hui on a du très beau fil, plus uni que l’ancien, à quatre et cinq centimes l’écheveau ; il est vrai que ce dernier est en coton ; mais des personnes de la partie, que nous avons consultées, nous ont assuré que la dentelle était plus belle, plus solide, et qu’elle supportait mieux le blanchissage : seulement elle épaissit en vieillissant.

Fichu bordé d'une dentelle faite avec des fils de couleur.

Fichu bordé d’une dentelle faite avec des fils de couleur.

Pendant longues années, nous avons entendu dire qu’aucune industrie ne pourrait se maintenir dans notre département, purement agricole ; un de nos collègues, M. Vimort, est venu prouver le contraire : que la dentelle se fabrique dans le pays, un peu en grand, et nul doute que M. Vimort ne soit bientôt en mesure de faire dans sa filature tout le fil qui sera nécessaire.

La Commission s’est demandé pourquoi cette industrie s’était maintenue en Espagne et en Flandre, tandis qu’elle n’a pas pris dans notre pays. En voici la cause : c’est que, dans le Roussillon, on se bornait à quelques dessins, qui étaient toujours les mêmes, tandis qu’en Flandre les dessins étaient variés à l’infini, de manière à forcer la consommation.

Le département du Nord a le monopole de la fabrication des dentelles, outre beaucoup d’autres fabrications importantes : à Bailleul, petite ville de 9.000 habitants, on fabrique de la dentelle, du ruban de fil, du velours, des toiles, de la faïence et du beau linge de table.
Le département du Nord, le plus industrieux de France, est aussi celui où l’agriculture est portée au plus haut degré de perfection ; plus petit qu’un département moyen, il est le plus populeux et le plus riche en revenu territorial ; la terre y produit le triple de la moyenne en France, et cependant il ne possède ni la vigne, ni l’olivier, ni bien d’autres plantes qui se cultivent ici avec succès ; d’où vient donc cette différence de production entre ce département et le nôtre ?

Cahier de colporteur en dentelles, archives Margouet, Perpignan.

Cahier de colporteur en dentelles, archives Margouet, Perpignan.

L’arrondissement de Lille a, pour sa superficie, cinq fois autant de boeufs et de vaches que le reste de la France. Ce département possède deux fois autant de routes, et cinq fois autant de voies navigables que la moyenne des autres départements : c’est là la source de son étonnante prospérité. Plus de 80 écluses sont réparties sur ses canaux ; plus de 40.000 bateaux passent tous les ans sur ses canaux et ses rivières.

Lille, Valenciennes, sont connues pour les dentelles qui portent leur nom. Les Anglais doivent leurs progrès en agriculture, à l’étude qu’ils ont faite de celle de la Flandre française. Nous ne parlerons pas des désignations des diverses dentelles, mais nous citerons un fait qui prouve que nos voisins d’outre-mer emploient tous les moyens possibles pour s’emparer des industries qui fleurissent le plus en France.

Ils achetèrent en Flandre toute la dentelle qui se fabriquait d’une seule espèce ; ils la vendirent ensuite, dans toute l’Europe, sous le nom de point d’Angleterre, et pendant ce temps, ils créaient des manufactures qui confectionnaient des dentelles pareilles, lesquelles ont fini par déshériter la France et Bruxelles de ce genre de fabrication. L’arrondissement de Cambrai possède plus de dix mille métiers qui fabriquent des toiles fines, dites toilettes, avec le lin qu’on cultive dans le département du Nord.

Dans les petites fermes de ce département, le temps disponible des enfants est mis à profit pour préparer le lin et pour fabriquer la dentelle. «Les habitants de la Flandre, dit M. Dupin, à qui nous empruntons ces renseignements, se partagent entre l’agriculture et l’industrie. Ainsi, quand l’agriculture souffre, ils trouvent du soulagement et des ressources dans l’industrie, et réciproquement.

Une cause des progrès de l’agriculture dans le département du Nord, tient à son heureuse alliance avec le commerce. M. Cordier dit à ce sujet : un négociant se laisse moins entraîner par l’attrait des nouveautés, il ne cherche nullement sa renommée, il n’estime que ses succès, et ne juge que par ses résultats ; ses essais ne sont jamais dangereux, parce qu’il ne tente que ce qui a réussi, et qu’il se borne à perfectionner. Le colza, le lin, la camomille, le pavot, sont cultivés comme plantes oléagineuses et fournissent leurs graines aux nombreux moulins de ce pays ; 200 moulins à vent s’élèvent autour de Lille, et sont tous employés à la production de l’huile».

Dentelle bordant la coiffe de madame Arago, David d'Angers, coll. Musée Rigaud, Perpignan.

Dentelle bordant la coiffe de madame Arago, David d’Angers, coll. Musée Rigaud, Perpignan.

La Commission a reconnu que les échantillons de dentelles qui ont été présentés au concours, étaient bien faits ; afin de ne pas porter un jugement erroné, des dames, dont le goût et les connaissances dans cette partie ne peuvent être mis en doute, ont été consultées ; l’échantillon portant pour suscription : resurrexit l’emporte sur tous les autres.

La Commission aurait proposé de lui accorder la médaille d’argent, mais l’échantillon étant trop petit, elle n’a pu avoir la certitude que l’ouvrière en faisait d’habitude de semblable en assez grande quantité pour en livrer à la vente. En conséquence, nous vous proposons de lui accorder la médaille de bronze, et de remettre au concours la médaille d’argent pour l’année prochaine. La Roussillonnaise a mérité une mention honorable.

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2 réponses à La dentelle du Roussillon, un artisanat en désuétude au milieu du XIXe s.

  1. MIRO Joana dit :

    Bonjour, je suis interessée par l’apprentissage de cette technique de dentelle, je cherche quelqu’un qui pourrait m’apprendre.
    Merci.

    • Laurent Fonquernie dit :

      Bonjour Jénina, renseignez vous auprès des associations de dentellières comme celle-ci : LES DENTELLIERES DE SAINT-CYPRIEN
      Adresse :
      9, impasse Rouget-de-Lisle,
      66750 Saint-Cyprien

      Tel : 04 68 21 20 16

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