Récemment redécouvert dans une vente aux enchères à Perpignan (1), le tableau intitulé « le repas des vendangeurs » de Marcel Delaris (1911-1995) offre une vision sereine et intemporelle du Roussillon (Pyrénées-Orientales), un territoire catalan fier de ses racines et de son terroir. Nous sommes en 1936, à un moment fort et ultime du régionalisme en France, ou ce mouvement culminera avec l’exposition internationale de 1937 au Trocadéro. C’est aussi en 1936 que Marcel Delaris devient sociétaire du Salon des artistes français.
Marcel Delaris, un antépénultième peintre roussillonnais du terroir.
Perpignan et sa région ont connu à la fin du XIXe siècle un foisonnement artistique, ou l’académisme a laissé place à la lumière du Sud, aux paysages pris sur le vif et aux scènes à caractère régionaliste.
Si Etienne Terrus a commencé à imposer un Roussillon de la Lumière et de la peinture en plein air, Louis Bausil, et surtout Louis Delfau vont entre autres peintres se recentrer en partie sur l’évocation du quotidien rural, des traditions, et d’un terroir ou culture populaire et langue catalane vont être considérées comme des valeurs morales opposées bien souvent à l’avancée du progrès et l’uniformisation culturelle.
Les années Trente permettent à de nouveaux talents d’éclore en Roussillon, moulés un temps donné dans cet univers culturel catalaniste, avec des apports indéniables de la Catalogne voisine (Josep de Togores, Joachim Sunyer, Josep Morell, Conrad Montava) et du cercle artistique toulousain (Achille Laugé, Henri Martin, Jack Martin Ferriere, Hélène Rivière(2). Le parcours de Delaris, qui entre après son brevet aux Arts Déco à Paris lui permet à 17 ans d’être reçu premier aux Beaux Arts ou il est formé par le peintre André Devambez (1867-1943), peintre dont on ressent une influence majeure sur la peinture de Delaris.
Cette grande composition présentée au Salon de 1936 est perçue comme une ode à la ruralité, à une époque ou ce retour à la terre, ces « scènes de paysannerie » sont qualifiées par le chroniqueur de l’Illustration d’« œuvres saines » ! En effet ce salon de 1936 est un salon de la tradition, comme le souligne toujours Jacques Baschet : « la tradition, c’est autre chose ; c’est le respect des grands principes qui dans tous les foyers d’art, à toutes les époques, ont servi à créer des œuvres fortes, établies, pensées (3).»
Deux grandes scènes comme témoignage d’une ruralité assumée
Le repas des vendangeurs par sa taille intéressante fait contrepoint au seul tableau imposant jusqu’à présent connu de Delaris pour les années Trente, la bénédiction du bétail à Elne. Cette dernière œuvre fut achetée par la Chambre consulaire, et a été longtemps exposée au musée Terrus d’Elne, ville natale du peintre pour revenir ensuite à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Perpignan, son propriétaire.
Ces deux œuvres possédant la même touche et des coloris proches se complètent dans un souci du détail quasi ethnographique. Les costumes sont réels, leur mise ne trahit aucun travestissement : présence des fichus, des coiffes catalanes, de la blouse bleue ou brune pour les hommes, traitement spatial intéressant ou le prêtre en surélévation apparaît dans le noir de la porte de la cathédrale comme une figure imposante.
Delaris joue avec les volumes et certaines formes comme cet âne du premier plan qui regarde le visiteur avec une déformation plastique quasi impossible ! Ce grand format aurait avec deux autres toiles aussi imposantes permis à Delaris de se classer dans la liste des neufs premiers au prix de Rome.
Une œuvre de son temps ?
La fin des années Trente est encore un moment d’interrogation et de juxtaposition des courants avant-gardistes et des courants les plus traditionnels. Entre les deux, une bonne partie de la jeune génération a choisi un ton robuste de la composition, proche du réalisme socialiste comme ici dans cette magistrale composition de Delaris.
L’évocation sensiblement régionaliste pour nous est toutefois menée sans concession ni trahison. La réalité sociale de la scène traduit la dureté du travail évoquée de manière pertinente par les comportes en bois pleines de raisins et les personnages fatigués, la scène étant dominée par une femme d’un âge avancé coiffée du fichu noir et les yeux dans le vide.
Autre rappel de la pénibilité des taches, le vin qui est évoqué à la fois dans le porron, carafe en verre typique du Roussillon ainsi que par le personnage du premier plan qui boit « à la régalade » une grande gorgée du breuvage, le vin rouge fortifiant et enivrant des classes laborieuses…L’habillement aussi traduit bien le besoin de se protéger du soleil par les fichus des deux femmes. Les tabliers bleus sont là afin de masquer les éclaboussures du jus des raisins écrasés, les faixas (ceintures) des hommes fortifient les reins des vendangeurs sans cesse penchés pour récolter et couper les grappes de raisins.
Cette œuvre d’une grande qualité dans la composition et les coloris, fait aussi preuve d’audace quant au cadrage, alliant une contre plongée sur les personnages de devant tout en donnant lieu à une ouverture en haut sur la plaine et un village lointain.
La thématique du repos sera reprise plusieurs fois par le peintre, à différentes périodes de sa vie. Ainsi une grande composition de facture plus récente nous donne une nouvelle version de cette scène. Évoquant un projet de tapisserie, elle a été réalisée probablement dans les années 1950/60, au caractère à la fois plus folklorique et complètement sixties(4).
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[1] Vente aux enchères, étude Fitoussi, Perpignan, 2008.
[2] Cette dernière expose au même salon une composition elle aussi a caractère régionaliste : « en attendant l’heure du marché ».
[3]Baschet, J., Le salon , l’Illustration, 9 mai 1936.
[4] Vente aux enchères, étude Halimi del Bano, Saint Cyprien, 2008.
Remarquable analyse de tableau, très accessible, et qui nous situe ce peintre parmi les peintres roussillonnais ayant si bien décrit la ruralité.