Sauvetage textile en Roussillon lors de l’échouage du Sainte Rose sur la côte de Torreilles le 15 novembre 1746

Introduction

Le littoral du Golfe du Lion a donné lieu depuis l’Antiquité à un intense trafic de marchandises par cabotage. Au milieu du XVIIIe  siècle, son importance est évidente pour les tissus et autres marchandises en provenance de la région provençale et à destination de Valencia, d’Alicante et probablement des pays d’outre Atlantique.

Jean Porcellis (1584-1632), deux voiliers dans la tempête, Artcurial, vente du 13 décembre 2010 à Paris.

Jean Porcellis (1584-1632), deux voiliers dans la tempête, Artcurial, vente du 13 décembre 2010 à Paris.

L’échouage de la barque dénommée la « Sainte Rose et les Ames du Purgatoire » montre combien les tissus sont considérés comme des matières précieuses qu’il convient de sauver le plus rapidement possible des dégradations inhérentes à l’eau salée. Il met aussi en valeur l’efficacité de l’administration des affaires maritimes de la Province de Roussillon, c’est à dire l’Amirauté de Collioure. Cette administration sait trouver très rapidement les solutions qui s’imposent.

Le dossier étudié est conservé dans le fonds de l’amirauté de Collioure à la cote 3B16/12.

Le bateau Sainte Rose et les âmes du Purgatoire s’échoue sur la plage de Torreilles le 15 novembre 1746. Cette embarcation de type « canary » appartenait à Vicens Julia, négociant du Grau de Valence avec pour patron et commandant Nicolas Lopez. Celui-ci est un marin natif de Villajoiosa, agé de 53 ans et patron par commission du bateau échoué.

 Villajoiosa et le trafic Alicante-Marseille

 La ville cotière de Villajoiosa est un petit port de la cote d’Alicante. Le 18e siècle a engendré une augmentation rapide de la population de cette bourgade, de 1500 habitants en 1713 à 5500 en 1794.

La fin des attaques de pirates ont contribué à cet assouplissement des défenses et à un accroissement de la population. Villajoyosa était le principal port de la région industrielle d’Alcoy aux 18 et 19e et avait l’une des flottes marchandes à voile la plus importante dans la région méditerranéenne espagnole. Dans ce port des goélettes, brigantins et d’autres navires 3 mâts ont été construits, dont beaucoup échangés avec l’Amérique et les Philippines.

Le 7 septembre 1746 le patron Lopez obtient à Marseille un certificat de paiement du droit de « toneladas » (transport de marchandises) pour une cargaison de melons qu’il transporte. Une licence commerciale a d’ailleurs accordée par Jaume Aragones, délégué maritime de la ville de Villajoiosa d’où est originaire l’équipage du Sainte Rose (1).

De Marseille: le chargement puis le voyage

Document délivré par le Port de Marseille au bateau sainte Rose de Lima.

Document délivré par le Port de Marseille au bateau sainte Rose de Lima.

Depuis Marseille, l’embarcation retourne à son port cette fois-ci chargée de Ballots de tissus ainsi que de barriques de sucre et confitures sèches. Le 27 octobre le consul d’Espagne à Marseille autorise aussi l’embarquement du révérend père François Monllor avec son compagnon le frère Pierre Marquez, tous deux franciscains ainsi que de Jean Martinez et son épouse afin de rejoindre le Grau de Valence. Cette cité balnéaire (grau = estuaire) est en fait le port de la ville de Valencia, c’est une cité très dynamique au point de vue du commerce maritime et de la pêche. Elle est située à 30 km au dessus d’Alicante.

Certificat de sortie du Port de Marseille pour le vaisseau étranger Sainte Rose.

Certificat de sortie du Port de Marseille pour le vaisseau étranger Sainte Rose.

Lopez et ses 4 marins sont détenteur d’un certificat de bonne santé délivré par les échevins de Marseille. Ce certificat fait référence à la peste de 1720. Ils possèdent aussi un certificat de sortie du port de Marseille pour « étranger » du Duc de Penthièvre, assorti de très belles gravures.

Leur embarcation était d’une contenance de 6 tonneaux, remplis de sucre, confitures sèches et ballots de tissus, chargés à Marseille pour aller à Valencia et Alicante.

La cargaison embarquée, suivi de 3 matelots, 1 mousse, 2 religieux, 2 hommes et une femme passagers. 

Le bateau est obligé de relâcher après 17 jours de voyage à « Ambrec »  pour cause de mauvais temps. Ils ne purent sortir de ce port ayant les antennes brisées. Après 4 jours de réparations, ils se remettent en mer malgré le mauvais temps et essayent de rentrer dans le port de Cette. Cela leur est impossible. Ils luttent toute la nuit pour ne pas être submergés et le matin, ne pouvant plus résister aux vents et aux coups de mer qui remplissaient le bateau, ils décident de se jeter à terre sur la plage de Torreilles et de laisserle bâtiment s’échouer.

L’amirauté de Collioure

blason de Monsieur de Balanda

blason de Monsieur de Balanda

Au XVIIIe siècle le commerce maritime est régi par une administration dénommée Amirauté. Les responsabilités administratives de l’amirauté de Collioure vont consister à la réception des rapports de chargement des capitaines, la vérification des cargaisons, la répression des trafics prohibés et la délivrance des certificats de libre navigation.

Les dossiers de l’Amirauté de Collioure contiennent un nombre important de procédures liées aux échouages des bateaux.  Selon l’historienne Annick Chelle, de 1746 à 1755, on note de un à quatre échouements chaque année(2). Cette administration est en seule habilitée à prendre en charge les personnes et les marchandises qui se retrouvent bloquées et en danger sur la cote. Le cas de l’échouage du sainte Rose est exemplaire. Il démontre l’attention des autorités quant au devenir des personnes et des marchandises au milieu du XVIIIe siècle, c’est-à-dire en plein siècle des Lumières.

 

L’ordonnance de la Marine précise les prérogatives des lieutenants de l’amirauté et leurs fonctions de contrôle sur les corporations travaillant à l’armement des navires. A la fin de l’Ancien Régime, l’amirauté de Collioure comprend un lieutenant général, un lieutenant particulier civil et criminel, un procureur du roi, un avocat du roi et trois conseillers nommés par commission du lieutenant général, plus les huissiers et les sergents.

Lorsque un sinistre est signalé sur la cote de la province de Roussillon, l’amirauté dépêche l’un de ses agents afin de mettre en place des procédures bien établies.

 L’échouage

Le 15 novembre 1746, à la suite d’une forte tempête la barque de type canary du patron Nicolas Lopez finit par s’échouer sur la plage de Torreilles après quelques déboires antérieurs.

  « …s’est présenté devant nous Nicolas Lopes qui s’est dit patron et commandant de ce bateau…natif de Vilatchosa dans le royaume de Valence, âgé de 53 ans, catholique apostolique romain, patron par commission du bâtiment échoué lequel appartient à Vicens Julia négociant du Grau de Valence, que s’étant rendu à Marseille pour aller à Valence et Alicante il chargea des tonneaux de sucre et des bales de marchandises dont il a les polices, et qu’étant parti de cette ville depuis environ 17 jours, ayant avec lui 3 matelots, 1 mousse, 2 religieux, 2 hommes et une femme passagers, ils furent obligés de relâcher à Ambrec ( ?) à cause du mauvais temps et ayant voulu en sortir, ils furent obligés d’y rentrer (à nouveau ) ayant les antennes brisées, qu’ayant resté quatre jours pour se pourvoir de nouvelles antennes et d’un éperon, ils se remirent en mer lundi dernier, et après avoir essuyé un fort mauvais temps, n’ayant pu rentrer au port de Cette, ils coururent danger d’être submergés, ayant manœuvré toute la nuit pour se garantir du naufrage. Hier matin à la pointe du jour ils ne purent résister au vent et aux coups de mer qui remplissaient d’eau le bâtiment, ils investirent cette plage dès qu’ils la virent, se jetèrent à terre et laissèrent le bâtiment dans l’état ou nous le voyons… »

 Les premiers à s rendre sur les lieux sont Guiter le bailli de Torreille et Donat consul du même village. Ils vont se charger en premier lieu de donner secours aux rescapés. Passagers et marins seront hébergés à l’auberge du lieu.

 Dès qu’il fut au courant de l’affaire, Joseph de Balanda-Sicart, conseiller assesseur au siège de l’Amirauté se dépêcha sur place pour constater l’état de la barque et de sa cargaison. Il a été prévenu par Guiter, bailly de Torreilles  qui, lui même avait été averti par la rumeur et se rendit très vite à la plage offrir secours aux passagers qui « s’étaient réfugiés dans une cabane distant d’un demi quart d’heure du leu de l’échouage ».

 Accompagné d’un de ses consuls,  Guiter reçoit l’ordre de trouver des travailleurs afin de sauver la cargaison. Il réquisitionne dès le 16 novembre vingt habitants de Torreilles et de Saint Laurent de la Salanque, six personnes le 18 et dix le 19 novembre.

 Une fois les ballots sortis de la cale, ou dégagés du sable,  ils sont chargés sur trois charrettes appartenant au Consul Donat, au sieur Guiter, ainsi qu’à Isidore Paulo. La barque d’Augustin Vernis est aussi employée pour récupérer par quatre voyages les ballots qui se trouvent encore en mer. L’opération dure trois jours. Le 24 novembre, une partie des marchandises est transportées avec les trois charrettes à Perpignan. Le reste des textiles sont confiés à des femmes de Torreilles pour être passées à l’eau douce.

marque des marchands Lavigne et Bordenave.

marque des marchands Lavigne et Bordenave.

 Le traitement des marchandises

 Le 19 novembre une assignation est promulguée envers les marchands de linge, de draperies et aux confituriers en ces termes : « …comme toutes ces bales étaient sous le sable ou dans la mer et qu’elles ont été mouillées, elles risquent de dépérir en entier si on ne prévoit pas les précautions convenables pour en ôter l’eau de la mer, qui brûle les toiles et étoffes suivant l’expérience qu’on a, et que de plus elles pouriroient si on ne les faisait sécher, il est nécessaire d’appeler un marchand de toiles et de draperies pour prendre son avis sur la manière de procéder…qu’il donne les précautions qu’on doit prendre dans celles qui sont de différentes qualités pour qu’elles ne se gâtent pas par le lavage ordinaire. » Les deux réquisitionnés sont le marchand Queyrol et le droguiste Siau, tous deux de Perpignan.

 La vente aux enchères de l’esquif et des débris du bâtiment est promulguée pour le lundi 21 novembre à 11 heures du matin sur la plage publique de Torreilles. Le bailli de Saint Laurent est prié d’afficher la vente. Les ballots de sucre et cassonade sont aussi vendus aux enchères. Les résultats de ventes sont consignés sur procès verbal. L’aubergiste Gaurenne de Torreilles est dédommagé pour les dépenses occasionnées par les mariniers de la barque échouée. Il est en effet réquisitionné pour loger les naufragés le temps de trouver une solution.

Traitement et nature des textiles

 Les deux experts ne semblent pas préconiser de dispositions particulière sinon celle de passer les toiles à l’eau claire afin d’en ôter le sel et ensuite de les laisser sécher. Toutefois, Cayrol demande la nomination d’un second marchand afin de le seconder. Le marchand Sebes de Perpignan est alors assigné à comparaître à Torreilles le 20 novembre pour expertise.

De nombreuses femmes reçoivent chacune un lot de tissus afin de les faire tremper, dégorger puis étendre selon les indications des deux marchands.

Les ballots en effet contenaient des textiles de différentes sortes et provenances, tous chargés à Marseille. Nous trouvons entre autre du Laval blanc, du Saint Jean, du Rouan, de la Baptiste, du linon façonné, de la Chaulette, de l’Escot, du Cadis d’Anduze, de la Serge de Londres, du Sempiterne et du Chalon fabrique de Nîmes ainsi que de l’Etamine du Mans. Ces tissus sont soit en laine, ce qui nécessite un traitement particulier, soit en coton.

Grâce aux polices d’assurances, les indications de producteurs et d’acheteurs donnent une idée très précise de la nature de la cargaison.

Parmi les noms des émetteurs de ces polices, deux noms retiennent particulièrement l’attention, ceux de Jean Rodolphe Wetter et de Daniel Gabriel Zehender. Ces deux entrepreneurs suisses, (Wetter était natif du canton d’Appenzel) et de surcroît protestants sont des fabricants de tissus de coton, et plus particulièrement de toiles peintes ou indiennes qui sont la spécialité de Marseille, cela en pleine période de prohibition(3).

 Jean-Rodolphe Wetter, industriel suisse va implanter dans le sud de la France une entreprise qui utilise les techniques d’impression sur du tissus de coton brut. Après avoir été le commissaire d’une maison toilière d’Herisau (commune suisse, capitale du canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures), c’est en 1744 qu’il a le privilège d’établir à Marseille une manufacture d’indiennes. Ce droit s’assortit de la condition de ne vendre qu’à l’étranger sa production. Il installe alors un atelier à Saint-Marcel qui va compter jusqu’à 700 ouvriers travaillant sur 36 tables à imprimer. Wetter utilise des dessinateurs provenant de l’Académie de Peinture de Marseille. C’est eux qui apportent la créativité et le professionnalisme de ces productions.

 Toutefois ce sont les productions non peintes que nous retrouvons mentionnées dans le dossier d’échouage. En 1755, suite à plusieurs sècheresses, il fait faillite. En effet l’indiennage demande beaucoup d’eau. Il s’installe ensuite à Orange en 1757.

Nous savons alors qu’il emploie quelques années après 500 ouvriers dont 85 imprimeurs, 85 tireurs, 94 hommes de prés, 196 pinçoteuses, 4 dessinateurs, 14 graveurs, 9 employés aux calandres, 12 lisseurs, 6 foulons. E effet en 1762 la manufacture peut produire 17.453 pièces qui sont exportées vers l’Espagne, le Portugal.

On peut parler de véritable réussite industrielle pour Wetter, qui se fait représenter au sein de sa fabrique à travers cinq grands tableaux par l’artiste italien Joseph Gabriel Maria Rossetti ; aujourd’hui au musée d’Orange, représentant les différents ateliers de la manufacture.

La fabrique d'indiennes Wetter à Orange, Musée municipal d'Orange.

La fabrique d’indiennes Wetter à Orange, Musée municipal d’Orange.

Le choix du port de Marseille n’est pas innocent, car étant zone franche, il permet aux fabricants d’écouler à l’étranger les marchandises prohibées à la vente ainsi qu’à l’usage sur le sol français(4). En effet, suite à la prohibition des indiennes et toiles peintes en 1686, les fabricants durent prouver que l’intérêt du pays face à la concurrence des voisins italiens ou espagnols, devait leur permettre de continuer à produire. En fait les indienneurs se replient sur Avignon, cité papale non sujette à l’application des lois françaises. L’arrêt du 10 juillet 1703 leur permet de se réinstaller à Marseille sous certaines conditions.

Il est donc normal de constater l’empressement de l’administration maritime de Collioure afin de remettre en chemin des marchandises qui ne peuvent que séjourner en Roussillon sur le sol national. Il faut à tout prix éviter tout usage domestique ou commercial de ces toiles.

Celles-ci entrent dans un large trafic de marchandises qui, chargées à Marseille,  transitent par Valence, Alicante puis Cadix afin de couvrir la demande sans cesse croissante des colonies outre Atlantique. C’est depuis cette plate-forme que serges et cadis sont exportés par voie côtière vers l’Europe (Italie, Espagne) et vers l’Amérique ibérique.. en ce qui concerne ces dernières destinations, grâce aux dynasties de négociants languedociens établis depuis la seconde moitié du XVIIe s. à Cadix et ayant fait fortune dans le prêt à la grosse aventure tel les Fornier alliés aux Gilly, marchands drapiers puis banquiers protestants de Nîmes(5).

toile peinte XVIIIe

toile peinte XVIIIe

La nature des textiles :

On retrouve grâce aux polices des marchandises la nature exacte des tissus chargés à Marseille. Il s’agit essentiellement de toiles et toiles blanches de Lyon, de petites draperies, d’étamines de laine fabrique de France, du bourras d’Auvergne et de Laval. Ces textiles sont voués à être livrés à leurs destinataires, des français établis à Valence et Alicante. On trouve les noms de Bremond et Bonnet, Etienne Blache, Etienne Requier, Jean et François Chaubet, Pierre Chaubet à Valence. A Alicante nous trouvons la compagnie Lavigne et Bordenave, et Jean Yriarte.

Les toileries sont des tissus de coton, lins et chanvre.

Laval blanc,

Saint Jean,

Rouan : toile de coton à carreaux dont on faisait les mouchoirs

Baptiste : toile fine de lin tissée à Marseille. Utilisée pour la lingerie fine.

linon façonné,

Chaulette,

Ces toiles étaient généralement blanches sinon on parlerait d’indiennes pour les toiles teintes de motifs. Ici on a bien des « lienzos blancos » ce qui n’empêche pas ces produits d’être considérés comme prohibés pendant cette période dite de la prohibition des indiennes.

En effet, la fin du XVIIe siècle voit apparaître une vogue pour les toiles de coton blanches ou peintes (qualifiées d’indiennes). Leur succès, dû à la facilité d’entretien et à la persistance des couleurs, suscite un certain nombre de mesures protectionnistes dès 1686 (6). Seules les toiles issues de la compagnie des Indes pourront être vendues. Les cotonnades françaises seront alors uniquement destinées aux marchés extérieurs.  Commence alors une période de 73 ans de prohibition, ce qui n’empêche nullement les Perpignanais de jouir des toiles non marquées (fabriquées et vendues par des réseaux autres que la Compagnie des Indes) par le biais de la contrebande.

Proche de la frontière, le Roussillon est prédisposé à ce commerce illicite. Par exemple, le 12 juillet 1725 un âne brun sans propriétaire est intercepté à la porte Saint-Martin. Il était chargé d’un ballot contenant six pièces d’indiennes entières tirant en tout 99 cannes 5 pams. Une autre fois, ce sont deux frères qui sont arrêtés à la porte de Canet. L’un d’eux portait sous sa chemise une pièce d’indienne fond bleu à fleurs rouges et vertes tirant quatre cannes et un pan ainsi que d’autres coupons. Les frères Casadavall étaient marchands de Saint Laurent de Cerdans, natifs de Sant-Miquel en Catalogne(7). Au prolongement du Vallespir, la ville d’Olot est l’un des principaux centres de production de la Catalogne au XVIIIe siècle(8).

Pour qui se fait prendre, la répression est sévère : lourdes amendes, peines de prison au Castillet pour un marchand, et enfin brûlement public des étoffes, tels deux tabliers en place de la Loge en 1723(9).

En 1748, la Compagnie des Indes était seule habilitée à importer et vendre des mousselines et toiles de coton. Une enquête menée à l’occasion de la pose de nouvelles marques sur les toiles oblige des officiers à comptabiliser les toiles de coton contenues dans chaque boutique patentée de Perpignan. Bazazin aîné, Sèbe et Lastrapes, Pancou-Lavigne, Tabariès et la veuve Mouran ont encore en stock des coupons d’indiennes à l’ancienne marque. En mars 1749, les nouveaux plombs sont apposés gratuitement(10).

L’année 1759 (11) voit la fin de la prohibition et l’avènement des productions provençales et montpelliéraines(12). Les cotonnades chatoyantes envahissent dès lors la garde robe des Roussillonnaises.

Les draperies forment un ensemble de tissus de laine et poils de toute sorte.

Il n’y a pas de soieries dans cette cargaison. Ces trois sortes de marchandises étaient celles qui étaient envoyées par cabotage vers Cadix puis les Amériques.

Le bourras est du gros drap, c’est-à-dire de la bure.

Les petites draperies qui ont été submergées :

-20 pièces d’escot de différentes couleurs : musc ou marron, blanc, tabac, rouge, écarlate, noir

-24 pièces cadis d’Anduze large bleu, rouge, noir, musc ou marron, vert

-12 pièces serges de Londres écarlate, migraine, rouge

-12 pièces d’escot noir, blanc, tabac, café, musc, écarlate

-8 pièces cadis d’Anduze large rouge, jaune, vert, bleu

-18 pièces étamine du Mans noires

L’Amirauté (Mr de Balanda-Sicart, conseiller du roi au siège de l’amirauté, à la requête de Mr le procureur du Roi) ordonne l’assignation de marchands drapiers et droguistes afin de se charger des marchandises sauvées du sinistre :

« ..sousigné que les 14 bales qui ont été sauvées jusqu’à ce jour du bâtiment espagnol qui échoua le 15 du courant renferment des marchandises de draperies, des toiles de différentes qualités et deux grades balles de confitures sèches suivant ce que nous en avons aperçu par les bales brisées par la grosse mer et par les polices du chargement. Comme toutes les bales étaient sous le sable et dans la mer et qu’elles ont été mouillées, elles risquent de dépérir en entier si on ne  prévoit pas les précautions convenables pour en ôter l’eau de la mer qui brûle les toiles et étoffes suivant l’expérience qu’on a et que de plus elles pourriraient si on ne les faisait sécher. Il est nécessaire d’appeler un marchand de toile et draperies pour prendre son avis sur la manière de procéder afin d’achever de conserver ces étoffes et pour qu’il donne les précautions qu’on doit prendre dans celles qui sont de qualité, pour qu’elles ne se gâtent pas par le lavage ordinaire. »

Afin de dessaler et enlever le sable des textiles, les petites pièces sont confiées à des femmes des villages environnants. Un mémoire contient les noms de ces 31 femmes « à qui les toiles ont été données à passer par l’eau douce et à sécher ». Ces marchandises seront ensuite entreposées à Torreilles dans un entrepôt appartenant à Isidore Paulo.

Les femmes sont toutes mentionnées : Marie et Claire Paulo, Rose et Jeanne Ramon, Thérèse Capdeville, Marie Figueres, Marguerite Badia, Marie Maillac mère et fille, Chique Artès, Marie Llot…..

Pour les draps de laine en grandes longueurs, les autorités recherchent des manufacturiers qui pourraient avoir la technicité afférant à une si délicate opération et qui pourraient surtout posséder un espace assez grand et couvert pour le séchage.

Finalement c’est l’Hospice de la Miséricorde à Perpignan qui, possédant sa propre fabrique de draps de laine, sera en mesure de traiter le chantier. Cette manufacture existait dès 1720 mais son essor date véritablement de 1730, avec l’intervention et association de l’entrepreneur Jean-Baptiste de Maris et de sa propre fabrique de soies dans des intérêts communs(13).

Monsieur de Collarès, administrateur de l’Hospice donne confirmation et indique qu’un dénommé Jean (ou Joseph) Puig, facturier de l ’Hospice se chargera de ce travail. Il s’agit de l’ouvrier principal de la manufacture, probablement le contremaître. Celui-ci accompagne les représentants de l’amirauté et les marchands commis à l’étage de la manufacture ou seront entreposés les pièces de drap grandes longueurs. Elles seront alors inventoriées par les marchands une fois sèches afin de conformité et vérification. Chaque pièce sera marquée, étiquetée et répertoriée. Joseph Puig présente, une fois les vérifications faites, le détail de sommes dues pour les journées des aides qui ont travaillé à laver et raccommoder, le matériel acheté comme cordes, chandelles et bois pour les étendoirs, et enfin le travail de surveillance de nuit contre le vol.

L’enquête de responsabilité

Le dossier contient aussi les dépositions des personnes se trouvant sur l’embarcation, marins et passagers afin de déterminer si il y a eu responsabilité du patron de barque dans le naufrage. Nous avons ainsi des renseignements sur les passagers embarqués à Marseille. Ces passagers possédaient un certificat ‘embarquement délivré par le consul du Roi d’Espagne établi à Marseille pour le révérend père François Montllor, accompagné du frère Pierre Marquez, tous deux franciscains. Jean Martinez et son épouse accompagnent aussi les moines et tous les 4 sont inscrit sur un seul et même certificat.

Aucune charge n’est retenue contre le patron de la barque.

La vente des restes de la barque

Il est rapidement décider de mettre en vente publique les restes de l’esquif, vente publique qui eut lieu le 21 janvier sur la place publique de Torreilles. La vente a été affichée dans les villages avoisinant, le sucre et les confitures sont aussi vendues à l’encan.

Le suivi des marchandises

Les propriétaires des ballots de textiles ayant été avertis par l’amirauté et les marchands perpignanais de l’avarie causée par le naufrage, ils vont nommer les marchands perpignanais Méric et Jué afin de se charger des suites à donner. Ces marchands répondent pour la plupart qu’il serait plus judicieux de faire à leur frais réexpédier les textiles dans les fabriques ou ils seront raccommodés plus aisément. Ainsi, Pierre Chaubet préconise « sur deux balles l’une sempiterne et chalons de la fabrique de monsieur Lapierre et compagnie de Nîmes et l’autre  balle toiles blanches de celle de Mr Flachat fils et Duclaux de Lyon…ces marchandises naturellement seront maltraitées de l’eau de la mer nonobstant qu’on les ait fait laver avec de l’eau douce je prévois être nécessaire de les remettre à la fabrique pour les faire raccommoder à perfection. »

L’amirauté a averti aussi les expéditeurs eux-mêmes comme Daniel Gabriel Zehender à Marseille qui lui-même écrit à Chaubet pour le prévenir. Chaubet envoie ses ordres à Jué pour avertir par lui monsieur de Balanda Sicart.

Pierre Chauvet, Jean et François Chauvet marchands de Valence sont représentés dans cette affaire par François Jué, mercadier de Perpignan, les sieurs Vagué, Joseph Bras, Etienne Blache, Etienne Siguié et Pierre Lavigne les 4 premiers de valence et le dernier d’Alicante sont représentés par Jacques Méric, mercadier droguiste de Perpignan et enfin les sieurs Brémont et Bonet de Valence représentés par François Mauran.

On assiste donc a une vraie relation d’entraide corporatives entre les marchands de Perpignan et les entrepreneurs, expéditeurs et récipiendaire des marchandises qui tous font le lien avec l’administration pour le bon ordre des affaires.

 Dernière balle manquante

 S’étant aperçu que le compte des bales n’était pas conforme aux certificats de la cargaison, l’Amirauté demande aux curés des villages environnant de faire l’annonce en prêche de la perte d’un ballot de textiles.

Le chanoine Guiter curé de Torreilles se présente lors des dernières vérifications des marchandises à l’entrepôt d’Isidore Paulo. Il indique que suite aux monitoires que le procureur du roi avait fait publier, il lui fut remis le 4 décembre en secret de confession 8 paquets d’étoffes. Ces étoffes sont dépliés examinées par les marchands présents et reconnus comme étant des camelots noirs d’Auvergne. Sur quoi le sieur Méric a réclamé les pièces comme faisant partie de la bale LB n°2 et qui manquait.

 Conclusion

 L’ensemble des édiles de l’amirauté, des communautés d’habitants, les prêtres ainsi que les négociants se montrent ainsi attachés au dispositif réglementaire élaboré sous l’égide de l’État dans le cas bien précis des échouages. Ces règles strictes sont les conditions même du maintien de la crédibilité commerciale des marchandises transportées par cabotage le long de la cote roussillonnaise.

Le système est très bien dirigé et la population locale s’intègre dans le dispositif notamment dans le cas de toutes ces femmes qui ont pris en charge les cotonnades. Le cas du vol « à moitié pardonné » permet de reconstituer au final l’intégralité de la cargaison.

Les marchands de Perpignan interviennent en qualité d’experts.

 Cet exemple montre que le système implique sur une aire géographique à grande échelle les négociants marseillais qui occupent les comptoirs et ports de la péninsule et contribuent à faire des draps de Languedoc un produit de référence, avec les toiles issues du commerce licite des  cotonnades.

sources :

Dossiers de l’Amirauté de Collioure, Archives départementales des Pyrénées-Orientales.

Bibliographie :

Marseille, échelle des toiles levantines pour l’Espagne, XVIIe et XVIIIe siècles, Eloy Martín Corrales.

Notes: 


(1)Dans ce document établi au nom de Salvador Lopez, nous apprenons que s’est établie une compagnie avec Marcos Lopez, Gaspar Lloret, Miquel Vila et Pedro Tinares, tous vivants à Vila Joiosa.

(2) Chelle, A. « Les naufragés sur la cote du Roussillon au XVIIIe s. » dans Météorologie et catastrophes naturelles dans la France méridionale à l’époque moderne, actes du colloque de 1992,, p.171-186.

(3) Herbert Lüthy, La Banque Protestante en France – De la Révocation de l’Edit de Nantes à la Révolution, Paris 1959, Band 1, S. 89/90 : « Jean-Rodolphe Wetter, commissaire d’une maison toilière d’Herisau, obtient en 1744 le privilège d’établir à Marseille une manufacture d’indiennes, à condition de ne les vendre qu’à l’étranger, et y occupe au milieu du siècle sept cents ouvriers. En 1757 il établie une fabrique d’indienne à Orange, bien connue grâce aux représentations conservées au musée de cette ville ».

(4) Raveux, O., La naissance de l’indiennage européen : l’exemple de Marseille.

(5) De la « marchandise » à la magistrature : L’ascension des Fornier de Clausonne au siècle des Lumières, sous la Révolution et l’Empire, Robert Chamboredon , Danielle Bertrand-Fabre, Annales historiques de la Révolution française, 1984, vol. 258, Numéro 258, pp. 479-494.

Gilbert Buti, «Des goûts et des couleurs. Draps du Languedoc pour clientèle levantine au XVIIIe siècle», in Rives nord-méditerranéennes, Les textiles en Méditerranée (XVe-XIXe siècle), [En ligne], mis en ligne le : 15 février 2009. URL : http://rives.revues.org/document1393.html.

(6) Arrêt prolongé par Louvois, in « Façon Arlésienne, étoffes et costumes au XVIIIeme siècle », catalogue d’exposition, 1998, p.112.

(7) ADPO, 1C1040.

(8) Historia politica, societat i cultura dels paisos catalans, 1995, T.5, p.275/279

(9) Expertisés, les tabliers provenaient d’une fabrique genevoise.

(10) ADPO, 1C1040, les plombs sont conservés dans la liasse.

(11) Arrêt du 5 sept. 1759, voir « Le coton et la mode, 1000 ans d’aventures », Musée Galliéra, Paris, 10 nov.2000/11 mars 2001.

(12) Chante, (A), « Les manufactures d’indiennes à Montpellier au XVIIIeme siècle », colloque de Montpellier, 1997, p.143.

(13) Perche, C., L’assistance publique à l’enfance dans la province de Roussillon, 1686, 1789, U. de Perpignan, t1, p.153.

Voir aussi les articles du professeur Degage dont : Avaries de mer, Amirauté de Collioure, 1740-1790, Chronique d’Histoire maritime, Commission française d’Histoire maritime, Paris, 12, 1985, pp. 2-14.

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Une réponse à Sauvetage textile en Roussillon lors de l’échouage du Sainte Rose sur la côte de Torreilles le 15 novembre 1746

  1. William Eisler dit :

    Cher Monsieur Fonquer
    Depuis des années je suis en train d’étudier les vies et les oeuvres des Dassier, médailleurs de Genève au XVIIIe siècle.
    J’ai appris dernièrement que ces artistes ont été servi de Daniel Gabriel Zehender à Marseille en 1746 comme vendeur des souscriptions pour leur série de médailles, L’Histoire de la République romaine (60 pièces en argent).
    Je serais très reconnaissant d’obtenir des références sur cet personnage cité dans votre fascinante notice.
    Très cordialement,
    William Eisler
    Conservateur honoraire, Musée monétaire cantonale de Lausanne

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