Le vestiaire de la Vierge de la Sacristie de Perpignan : un héritage pour demain 

 

« Les objets dont il est ici question sont des révélateurs de l’âme, au sens le plus strict du terme. Comme ces produits chimiques destinés à faire surgir les photographies sur un papier vierge, ils sont un relais, un intermédiaire entre le passé de leur possesseur et leur présent » François Vigouroux.

La Vierge de la Sacristie au Musée des Tissus de Lyon.

La Vierge de la Sacristie au Musée des Tissus de Lyon.

La proposition de présenter la Vierge de la Sacristie de la cathédrale de Perpignan, son vestiaire ancien et moderne au sein de l’exposition : « Icône de mode. Le vestiaire de la Vierge noire de la basilique Notre-Dame-la-Daurade de Toulouse » (Du 04/11/11 au 25/03/12) peut être considéré comme une juste reconnaissance pour les acteurs de ce rituel traditionnel. La création récente d’une nouvelle et exceptionnelle robe donne à ces pratiques, qui en France pouvaient sembler désuètes et quasi disparues, une image peu commune et intéressante sur de nombreux points. En séjournant quelques mois loin du Roussillon, la Vierge catalane est exposée à Lyon dans sa plus belle robe. Son étoffe retrouve ici ses origines, celles d’une des maisons de soieries les plus renommées de la capitale des Gaules.

Les Vierges habillées du diocèse de Perpignan-Elne

Vierge de la sacristie non restaurée avec une des robes XIXe, 2003

Vierge de la Sacristie non restaurée avec une des robes XIXe, 2003

Vêtir des statues de bois spécialement conçues à cet effet était une pratique courante dans les paroisses du diocèse de Perpignan-Elne, probablement dès l’application des injonctions de la réforme tridentine concernant le décor des églises. Cette pratique, encore inscrite dans le souvenir de paroissiennes de certains sanctuaires, amena l’anthropologue Marlène Albert-Lorca à pousser l’enquête dans ce secteur de culture et de langue catalane1. En effet nombre de statues de la Vierge y sont encore aujourd’hui vêtues d’une robe et d’une mantille noire. Ce vestiaire singulier, mais aujourd’hui très limité, était englobé dans un champ plus vaste. Il existait des robes de différentes couleurs correspondant à l’expression de la douleur ou de la joie. Hormis les Vierges, d’autres statues étaient aussi revêtues de vrais habits : Enfants Jésus posés sur le tabernacle après les fêtes de Noël, saintes Véronique et Madeleine des processions de la Sanch, Groupes sculptés de la Dormition de la Vierge….Ces pratiques dévotionnelles relevaient de la même idée, celle d’humaniser la statue et de lui donner vie. Un important rejet de ces images s’est produit de 1865 à 1876, sous l’épiscopat de monseigneur Emile Ramadié, évêque de Perpignan. En plein conflit entre ultramontains et gallicans, il fut particulièrement virulent à l’encontre de ce type de statues et condamna « l’usage invétéré de revêtir les images du Christ, de la Vierge et des saints d’accoutrements ridicules, de bijoux, de chevelures naturelles, très exactement comme au Pérou et dans les autres colonies espagnoles, fort en retard sur leur ancienne métropole, qui l’est elle-même sur les autres nations catholiques. On voit ici même des cérémonies qui rappellent le Moyen-âge2. » Il se peut la Vierge de la Sacristie soit, par sa présence au cœur même de la cathédrale, la première figure touchée par ces invectives. Elle aurait dès lors été mise à l’abri des regards après 1865. A partir du Second Empire, il semble que toutes les pratiques liées à l’habillement des statues s’estompent progressivement. Presque un siècle plus tard, le Concile Vatican II de 1962, véritable révolution culturelle au sein de l’Eglise catholique, ne devait laisser ici et là que quelques pratiques résiduelles. Depuis peu, un intérêt se développe autour de ce patrimoine particulier grâce notamment à la restauration de la Vierge de la Sacristie et au renouvellement de son vestiaire.

Historique

Vierge de la SacristieVierge de la Sacristie

Vierge de la Sacristie

Malgré les lacunes archivistiques, la statue de la Vierge de la Sacristie, mannequin grandeur nature, pourrait dater des dernières années du XVIIIe ou du début du XIXe siècle. Un visage aux yeux de verre grands ouverts, des mains imposantes et des pieds menus chaussés dans des spartiates, sont les seuls éléments soignés de la sculpture. Le reste du corps, destiné à ne pas être vu par le public et à être vêtu, est à peine ébauché et même remplacé par quatre tiges de fer forgé au niveau des jambes. Le travail relève tout de même d’un artiste à la fois sculpteur et bon ébéniste, les bras étant articulés grâce à un système complexe de rotules en bois. Après des années d’oubli, la Vierge fut présentée à nouveau au public lors de la Semaine Sainte 2003, en habits noirs puis dans l’une des robes claires anciennes3. Cette exposition à caractère culturel a eu lieu à la chapelle des Fonts baptismaux et a permis de prendre conscience de la valeur patrimoniale et artistique de cet objet. Une souscription pour la restaurer fut lancée et le succès d’estime fut tel pour l’Association Culturelle qu’une personne anonyme fit don de l’intégralité du devis. La statue a alors été prise en charge par l’atelier de restauration agréé ACCRA d’Ille sur Têt (66). Son directeur, Monsieur Giorgio Bédani retrouva l’ancienne carnation, plus vive, de son visage. Une fois la statue restaurée, un second appel fut lancé dans le Bulletin paroissial du 7 septembre 2003 en ces termes : « l’Association Culturelle recherche quelques couturières motivées et talentueuses pour dessiner et réaliser de nouvelles robes ; celles qui existent étant anciennes et très fragiles » et auquel ont très spontanément répondu le couturier José Capella et son épouse Irène.

José Capella, la grande tradition couture et création

Né à Perpignan en 1931, José Capella a consacré sa carrière professionnelle à la couture et plus précisément à l’habillement sur mesure pour dames. Son père, tailleur d’habits, travaillait rue de l’Argenterie à Perpignan. C’est dans l’atelier familial que José est initié aux rudiments du métier et part ensuite à Paris parfaire sa formation. Il entre chez Fath, puis chez Balenciaga, et assimile durant douze années l’univers de la mode parisienne. En 1960, il décide de revenir à Perpignan, date à laquelle il ouvre sa propre maison de couture rue Emanuel Brousse. C’est finalement en 1965 qu’il s’installe définitivement sur le boulevard Wilson4. La plupart des grandes familles bourgeoises de Perpignan sont passées dans son salon, spécialisé dans la robe de mariée et autres vêtements coupés dans des matières nobles. Il travaille artisanalement avec son épouse Irène, une première d’atelier et deux ouvrières. Aujourd’hui retraités, tous les deux effectuent encore ces gestes artisanaux pour quelques passionnés, gestes qu’ils perpétuent sans compromission avec la modernité.

José Capella, couturier à Perpignan.

José Capella, couturier à Perpignan.

Le couturier et son épouse, de tradition catholique, ont choisi de donner à la Vierge une robe de mariée qui dormait depuis des années dans leur grenier. Remise à la mesure, José Capella, son épouse avec l’aide d’un ami de la famille ont pendant trois mois, agrémenté le précieux vêtement de broderies au fil d’or en application. C’est ainsi qu’un vêtement sacré est né. Des textiles liturgiques effilochés et hors d’usage ont été décousus, restaurés puis recousus en harmonie sur le riche satin de soie, comme les broderies d’un ancien devant d’autel, recomposé verticalement. La Vierge, dans son nouvel habit, fut présentée le 11 avril 2004.5  Cette année là, une procession du matin de Pâques, manifestation qui se déroulait jusqu’aux années 1960 sur le parvis de l’église La Réal, était aussi remise en place. Une Vierge habillée de cette église rejoint devant la cathédrale une statue du Christ ressuscité descendu de l’église Saint Jacques6. Les deux statues se saluent et entrent ensuite dans la basilique. Lors de la préparation de cette procession, ses organisateurs demandèrent à utiliser la Vierge de la Sacristie. L’hypothèse d’aller habiller la statue dans une autre paroisse que la cathédrale fut rejetée par les Capella et l’Association Culturelle.

La Vierge de Pâques dans une soierie de Bianchini Férier

La mariée escortée par José Capella, Perpignan 1971

La mariée escortée par José Capella, Perpignan 1971

La Vierge de la Sacristie possède aujourd’hui un ensemble contemporain comprenant une robe à traine et son manteau coupés dans un satin duchesse en soie ivoire mat de la Maison lyonnaise Bianchini Férier. Cette entreprise fondée en 1888, médaillée dès 1889 à l’Exposition Universelle de Paris, possèdera des bureaux à partir de 1897, puis Londres, Bruxelles et New York. Elle est aujourd’hui mondialement connue des historiens de l’art grâce au contrat signé avec Raoul Dufy (1877-1953) en 1912. Dufy qui travaillait alors pour Paul Poiret, fera la renommée de cette Maison, avec près de 4000 dessins créés jusqu’en 1928. Cette œuvre monumentale a profondément influencé les arts appliqués du 20e siècle. En 1999, une partie de ses archives, acquise par l’Etat, a été déposée au Musée Historique des Tissus de Lyon. La tradition lyonnaise de la soie et plus précisément la maison Bianchini Férier vont trouver à Perpignan un véritable artiste. José Capella réalise dans un important métrage de satin de soie, pour utilisation civile dans un premier temps, puis une utilisation rituelle aujourd’hui, une extraordinaire « robe de cour ». Lors de la transformation en vêtement à caractère votif, les bordures de fourrure de vison blanc ainsi qu’un imposant capuchon n’ont pas été conservés. Cette robe créée pour un mariage de la haute société perpignanaise en 1971 devait s’adapter à son nouvel usage et perdre une partie de son esthétique première pour devenir un objet sacré avec le rajout des applications au fil d’or. Aujourd’hui, l’ampleur, la fragilité de cette robe impose des soins et un stockage approprié. L’Etat, la paroisse et l’Association Culturelle Saint-Jean doivent songer à mettre en place une conservation optimale pour l’ensemble du vestiaire, à la fois vestiaire ancien mais aussi la nouvelle robe qui n’est pas encore entrée dans le patrimoine de la cathédrale. L’exposition de Lyon, démontrant l’importance historique et artistique de ces différentes pièces, a permis de définir un questionnement des différents acteurs sur ce type de patrimoine. Aujourd’hui, les robes anciennes ne sont toujours pas inventoriées. La nouvelle, bien qu’appartenant à la Vierge, demeure toute l’année à l’abri de toute salissure dans l’atelier Capella. Le couple a fait le vœu et l’engagement à la Vierge de la vêtir jusqu’à toute invalidité.

Le rituel renouvelé

La Vierge habillée devant le dais

La Vierge habillée devant le dais

Depuis que la nouvelle robe a été créée, chacune des Semaines Saintes est l’occasion de prévoir de nouveaux décors, adaptés à la circonstance et transformant peu à peu la chapelle de l’Immaculée Conception en véritable reposoir. En effet cette chapelle, aux décors baroques de grande beauté dédiée à la Vierge en font un remarquable écrin de présentation7. Investie dès le Mardi saint, la chapelle se transforme grâce à une équipe de bénévoles le Mercredi saint. Il faut finaliser en peu de temps habillage et décorations florales pour la cérémonie du chemin de croix du mercredi soir. L’ensemble est dédiée jusqu’au vendredi soir au culte de la Vierge des Sept Douleurs. Le décor est composé de la Vierge en robe noire parée de la couronne et du cœur aux sept glaives et d’un grand nombre d’éléments : anges, draps mortuaires, fleurs et végétation. Cette majestueuse composition varie chaque année par des décors floraux ainsi que par l’attitude donnée à la Vierge par les acteurs du reposoir. La gestuelle de la statue peut être modifiée grâce aux bras articulés. Ainsi de 2005 à 2008, la statue fut entourée de deux anges en terre cuite prêtés par l’église voisine Saint Matthieu, particulièrement intéressants puisque présentant chacun l’un des symboles de la Passion du Christ8. En 2010, la Vierge fut assise dans une position plus dramatique. Ainsi elle semblait effondrée devant la croix posée à plat devant elle.

Le samedi matin, la statue dévêtue est mise à l’abri des regards. Les centaines de fleurs sont enlevées. On les réserve pour les remettre dans le nouveau décor du matin de Pâques. Un imposant dais de procession datant du XIXe s. est monté afin d’accueillir la statue vêtue de blanc. Cette opération délicate est l’un des moments des plus intenses de la matinée. Une fois la structure stabilisée, les tentures sont posées. Un plancher permet de mettre en hauteur la statue qui, une fois habillée de la majestueuse robe ivoire, est déposée délicatement à l’intérieur du dais. Ensuite le décor floral est lentement recomposé et finit par interdire l’accès à la chapelle.

Un exemple pour demain ?

Vierge de la sacristie le vendredi saint.

Vierge de la Sacristie le vendredi saint.

Suite à l’importance prise par ces présentations annuelles de la Vierge de la Sacristie et leur impact visuel (la cathédrale est le monument le plus visité de Perpignan, notamment le jour du Vendredi saint), le curé d’Elne en 2008 demanda aux couturiers de créer bénévolement deux robes neuves pour sa paroisse. Une robe noire, puis une robe blanche parée de nombreuses broderies au fils d’or9 ont été présentées lors des fêtes de Pâques 2009. L’exemplarité donnée par la Vierge de la Sacristie est dû au travail d’excellence sur la coupe et les matériaux. Sa promotion par de nombreuses communications (publications universitaires, internet10, journaux locaux, plaquette touristique de l’Office de Tourisme…) a permis au public de découvrir une tradition qui avait jusqu’alors disparue dans ce sanctuaire. La cathédrale de Perpignan, à travers ce rituel pascal, a pu retrouver son caractère hispanique, très souvent oublié. Présentée pour la première fois hors de sa région au sein du Musée des Tissus de Lyon, le vestiaire de la Vierge de la Sacristie nous éclaire de façon magistrale sur la singularité du Roussillon dans l’espace français, et sur un mouvement général de retour aux sources de pratiques anciennes, symboles ici d’une culture catalane revendiquée.

1 Albert-Lorca, M., “La Vierge mise à nu par ses chambrières”, CIio. Histoire, Femmes et Sociétés. Presses Universitaires du Mirail, n°2, 1995. « Des Vierges vêtues comme des femmes ? », Destin d’étoffes, 2006, pp.79-88.

2Belledent, F.G., « Les évêques de Perpignan au XIXe siècle », Perpignan, l’histoire des catholiques dans la ville, colloque, 2007, collection Perpignan Archives Histoire, p.342.

3 L’Indépendant, mardi 15 avril 2003, p.6 : Une Vierge des douleurs exposée à la cathédrale », lundi 21 avril 2003, p.2. La robe noire authentique n’avait pas encore été retrouvée.

4 Cabanas, J., « Les couturiers de la Vierge », Terres Catalanes, N°47, mars 2007,p.98-101.

5 Cabanas, J., « la Vierge des douleurs de saint Jean exposée », l’Indépendant, mardi 16 mars 2004 ; La Semaine du Roussillon, n.145, p.18 : « Présentation publique de Nostra Senyora de la Sagristia ».

6 Cabanas, J. « Jésus et Marie se saluent devant la cathédrale », l’Indépendant, lundi 12 avril 2004. Cette tradition se déroulait jusqu’aux années 1960 uniquement autour de l’église La Réal.

7 Montcouquiol, J., « Les fresques de Jacques Gamelin de la chapelle de l’Immaculée-Conception à Perpignan », La peinture baroque en méditerranée : de Gênes à Majorque, Collectif / rassemblés par Julien Lugand, ed.Trabucaire, 2010 p. 128-143.

8 Ces anges ont rejoint la niche du retable central de cette église et ne peuvent plus être transportés.

9 Lloubes, M., « Grand couturier pour Vierges catalanes », l’Indépendant, jeudi 13 mars 2008.

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Une réponse à Le vestiaire de la Vierge de la Sacristie de Perpignan : un héritage pour demain 

  1. Padallé dit :

    Bel article où on apprend beaucoup de choses
    Et félicitations à Mr et Mme Capella

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