Costumes du Roussillon et de Cerdagne de la seconde moitié du XVIIIe s.

 

Jean Baptiste Carrère est l’auteur du volume des « Voyages pittoresques » consacré à la Province du Roussillon, paru chez Lamy à Paris en 1787.

Ses descriptions présentent un grand un intérêt, par leur précision, elles sont assorties de gravures1, mais aussi parce qu’elles s’inscrivent dans le courant encyclopédique, Carrère étant lui-même médecin. Les savants et érudits de cette époque s’attachent alors à décrire chaque « pays » ou province avec des éléments représentatifs comme peuvent l’être les costumes. Afin d’insister sur les particularismes de ceux portés en Roussillon, Carrère indique : « nous nous bornerons ici au costume national du peuple, celui des personnes élevées ne diffère point du reste de la France».  En effet, noblesse et grande bourgeoisie sont au faîte de la mode parisienne par des voyages à la capitale, les almanachs des modes ou encore l’achat de poupées appelées pandores2.

Roussillon: femmes de la plaine 

La fin du XVIIIe s. indique bien un clivage culturel et social entre classe dirigeante vêtue de la dernière mode et le reste de la population fidèle au costume traditionnel. Dans cette seconde catégorie, Carrère y distingue deux classes, celle de la bourgeoisie moyenne des artisans et des pagesos3 et celle de la paysannerie, avec « l’habit à la ménestrale et l’habit à la Catalane. La forme en est à peu près la même, il ne diffère que par le degré d’élégance. Le premier est celui des femmes des artisans, et assez communément des bonnes bourgeoises et des bonnes fermières des campagnes ; le dernier est celui des paysannes. Elles ont toutes un capuchon noir, de serge ou d’étoffe de soie, les premières le portent toujours sur la tête ; les dernières le plient le plus souvent et le tiennent sur le bras. »

Femme vêtue à la catalane

Malheureusement, incapable ou peu enclin à détailler un habillement féminin, Carrère nous laisse à nos propres interrogations, en ajoutant : « La description des formes de leurs habits est assez difficile et longue ; on le verra plus aisément dans les figures que nous avons fait graver ».

Menestrala 

Cerdagne : costume archaïque des femmes

L’auteur explore ensuite un autre domaine géographique très représentatif d’une manière vernaculaire de s’habiller : « Le costume des femmes du Capcir et de la Cerdagne est différent de celui du reste de la province. Elles couvrent leur tête d’un filet ou réseau de fil ou de soie de couleur, ou bien d’une simple mousseline, que n’en recouvre que la moitié, et laisse à découvert les cheveux du devant. » Nous voyons là l’influence de la Catalogne dans le port de la résille couvrant les cheveux et non de la coiffe, ainsi que la manière particulière de porter le fichu ou mocador de cap très en arrière sur la tète.

L’usage d’un capuchon à pointe recourbée vers le haut est bien attesté : « Elles portent par-dessus un capuchon, rond par devant et pointu par derrière et tombant jusqu’à la ceinture. Il est blanc, de laine pour le peuple, d’une laine plus fine ou de mousseline pour les plus riches4. »

Coset dit busquière ou bandefer.

Coset dit busquière ou bandefer.

« Elles ont au col une fraise de mousseline ou de dentelle. Leur habit est une espèce de corset, il est contenu dans une espèce d’écartement par une espèce de busquière triangulaire, garnie de baleines de fer, couverte de belles étoffes, mais très bigarrées, et maintenues par des lacets, rubans et cordons de différentes couleurs. » On peut penser à l’usage identique en Provence de porter un corps rigide ou busc recouvert d’étoffes de soie, usage qui était déjà tombé en désuétude dans les espaces de grande circulation comme la Roussillon et la Basse Provence à l’époque de Carrère. Par sa position montagneuse, la Cerdagne conserve l’usage du corps rigide plus longtemps qu’ailleurs.

« Leurs jupons sont exactement ronds, à petits plis renversés à la ceinture et bordés en bas par des rubans de fil ou de soie de différentes couleurs, ou des galons ou dentelles en or ou en argent. Les femmes du peuple portent des bas rouges ou verts, et des espardegnes ou souliers de corde, ou bien des souliers dont le cuir est tailladé en plusieurs sens de manière à former un dessein. » Le plateau cerdan était réputé pour ses productions de bas réalisés à domicile pendant les longs hivers, ce qui explique la possibilité aux femmes de toutes conditions de pouvoir en porter soi-même. De même le travail du cuir, réputé en Catalogne et en Roussillon, s’exprime dans la réalisation de chaussures.

Cerdagne: costumes masculins

«  L’habit des paysans consiste en un gilet croisé rouge, bleu ou de quelque autre couleur, sur lequel ils portent une veste ou une camisole de drap brun. Ils ceignent le bas de leur ventre avec une bande très large de serge bleue ou rouge, qui fait plusieurs tours. Ils portent sur la tête un bonnet de laine rouge ». Le costume masculin catalan est bien représenté, gilet, veste, la traditionnelle faixa ou longue ceinture de tissus enroulée autour de la taille et la barretina, bonnet de laine feutrée. « …quelques fois le chapeau par-dessus et à la place des bas, des pièces carrées de toile dont ils entourent leurs jambes et qu’ils attachent avec des cordons. » Il s’agit là de guêtres qualifiées en roussillonnais de garmatxes5. « Ceux du Roussillon et du bas Vallespir portent des souliers et ceux du haut Vallespir et de la Cerdagne, des souliers de corde» L’espadrille, ou vigatana est une chaussure réalisée totalement ou en partie en corde, de fabrication méditerranéenne très ancienne.

« Les paysans riches des montagnes ont un gambeto brun ». Il s’agit d’un paletot long qui est porté l’hiver et qui pare du vent, qui pouvait être passé par-dessus la veste. On en trouve des représentations dans le costume de Saint Gauderique, sculpté ou peint dans de nombreuses églises du Roussillon.

Classe intermédiaire répondant à la ménestrale, voici le voiturier : « Les voituriers de la Cerdagne et d’une partie du Conflent ont un habit joli et leste, il consiste en un bonnet de laine sur la tête renversé sur l’oreille, un gilet rouge, une petite veste bleue fort courte à petites poches, croisées par derrière, garnie de petits boutons de cuivre jaune, une culotte ronde sans jarretières, un petit jupon fort court et très plissé, à peu près dans la forme de ceux des coureurs, une ceinture de cuir, de laquelle pend une bourse aussi de cuir, qui se ferme avec des cordons terminés en glands, appelée escarcella, semblable à celle que porte le recteur de l’Université de Paris, des bas et des souliers de corde très légers et très découverts sur les pieds. Ceux-ci sont maintenus par des rubans bleus ou rouges qui, après avoir formé quelques dessins sur le pied, vont faire plusieurs tours et se croiser plusieurs fois sur les jambes ou ils sont noués en forme de petite cocarde. » Il s’agit là d’un costume catalan d’apparat, avec cette bourse très travaillée et ces boutons servant de décor tout autant que d’objets usuels. Il est toutefois à remarquer le jupon, peut être relique des hautes chausses des temps anciens, mais dont il ne subsiste aucun exemple.

Cet aperçu succinct mais très précis des réalités de l’habillement traditionnel en Roussillon à la fin du XVIIIe s., distingue de la paysannerie la classe intermédiaire qui, malgré l’aspect traditionnel décrit par Carrère, semble bien être l’héritière de la bourgeoisie de la première moitié du XVIIIe s., celle qui a maintenu un habit local riche tant par les matériaux que par des enjolivements, bourses, broderies, ou rubans.

1 les dessins aquarellés de Beugnet qui ont servi aux gravures sont conservés à la Bibliothèque Nationale à Paris, fonds Destailleur.

2 Tetart-Vittu, La mode à la française : de la fabrique à la clientèle, un parcours réussi, dans Modes en miroir, 2005, p.44, 46.

3 Pagèsos : propriétaires agricoles, assez riches et au statut en partie comparable aux maîtres artisans.

4 Un capuchon similaire existe dans les collections de la Casa Pairal de Perpignan.

5 Terme relevé dans plusieurs inventaires et qui trouve son pendant en Catalogne dans le terme polaine.

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