la Casa Pairal : une collection pour demain

Il est intéressant de se souvenir alors que ce 1er novembre 2010 s’effectue le lancement du démontage des vitrines, qu’il y a environ 50 ans, naissait officiellement la collection ethnographique de Perpignan au sein de la Casa Pairal, musée catalan logé à l’intérieur du Castillet. En France, la naissance de musées consacrés à garder en mémoire le patrimoine des sociétés rurales intervient pour la première fois en 1846 lorsqu’est créé le Musée archéologique de Quimper. Ce musée va lancer une tendance générale en Europe, consacrée au niveau national par l’ouverture en 1884 d’une “Salle de France” à l’intérieur du Musée du Trocadéro. En Roussillon une idée similaire est attestée au début du XXe s.

 Les précurseurs

En 1914, la Société d’Archéologie et d’Histoire du Roussillon lance l’idée d’un musée d’antiquités roussillonnaises rassemblant un large panel d’objets dont meubles, bijoux, costumes… La guerre met toutefois un terme rapide à cette initiative. Le collectage d’objets est relancé à la fin des années 1920 avec l’appel lancé le 18 mars 1927 par la Colla del Rossello à Perpignan. « Le Bureau…a décidé de créer à Perpignan un Musée régional sur le modèle de ceux qui ont été fondés à Arles-sur-Rhône, Toulon, Lourdes, Pau, etc…il prendra le nom de Musée catalan (Casa Pairal) et sera installé au second étage du donjon du Castillet, que la municipalité a bien voulu mettre à disposition. La Colla fait appel au concours de tous ceux qui sont détenteurs de quelque vestige du passé tel que : coiffes catalanes et pièces du costume catalan, châles, meubles catalans, bijoux…. » Cette première collection rassemblée au Castillet par Horace Chauvet et Charles Daliès est inaugurée le 18 mai 1941 sous le nom de Musée du Roussillon. Vecteur de la création d’un musée des Arts et Traditions Populaires , c’est cette première collection, léguée à la dissolution de la Colla à la SASL des P.O. (Société Agricole Scientifique et Littéraire des P.O.) qui est prise en compte par Georges Henri Rivière, directeur du musée des Arts et traditions populaires de Paris lors de son premier passage à Perpignan, en 1945 : « Brève visite d’une petite collection historique et ethnologique installée dans 2 salles du Castillet en musée Catalan. Peu ou point d’étiquetage, pas de classement ni d’inventaire, il serait urgent de mettre en route l’inventaire… »P1170209Musiciens de l’Estudiantina dans une des salles du premier Musée du Castillet.

En 1955, G.H.Rivière reçoit à Paris Marie Thérèse de Saint-Paul, amie de Georges Petit, ex-collègue de Rivière et directeur du laboratoire Arago de Banyuls. Elle lui recommande Joseph Deloncle, qui vient de publier une anthologie des goigs du Roussillon, et qui a rassemblé une importante collection, le docteur Argelliès, adjoint au maire de Perpignan chargé des Beaux-arts, ainsi que quelques ecclésiastiques. Du 5 au 8 sept 1955, Rivière est hébergé chez les Deloncle à la rue Llucia, il rencontre alors les élus ainsi que le président du Conseil Général, Louis Noguères afin « d’examiner à titre officieux les chances qu’on aurait, dans l’avenir, à instituer à Perpignan un musée de type musée Lorrain. » Celles-ci résident tout d’abord dans le choix d’un espace conséquent pour exposer les collections pressenties. Les propositions vont du Palais de rois de Majorque au couvent des Minimes en passant par l’Arsenal (le président Noguères indique le 30 mars 1956 à Rivière qu’il veut engager le Conseil Général à acquérir l’ancien couvent des Carmes pour le futur musée, mais il décède le 5 mai). A cette date, le Roussillon est enfin présent au musée national à Paris dans l’exposition Arts populaires des Pays de France.

Ensuite les chances résident en second lieu dans l’existence même d’une collection conséquente. En 1957, la municipalité de Perpignan affecte la totalité du Castillet au musée catalan après que la S.A.S.L. ait accepté de mettre en dépôt la collection existante et que J. Deloncle et son épouse y aient adjoint leur propre collection donnée à la ville de Perpignan le 23 octobre. Les objets sont conservés au sein d’un local municipal servant de réserve.

 Sardane le jour de l’inauguration de la Casa Pairal (L’Indépendant)

 Les travaux peuvent commencer afin de redonner aux salles leur aspect actuel. Six années sont nécessaires afin de mettre en place au Castillet la Casa Pairal, musée identitaire d’envergure départementale. Les collections sont rassemblées en plusieurs thématiques sur les avis et conseils de G.H.Rivière, les fiches descriptives des objets ont été réalisées par l’épouse de J. Deloncle. Tout est prêt en 1963 afin que la ville de Perpignan inaugure un musée ethnographique des plus modernes, de manière scientifique et didactique sur l’identité du département des Pyrénées-Orientales.

 Une muséographie originale

La concrétisation intervenue en 1957 confirme la volonté de la ville de voir rapidement émerger ce projet. La Casa Pairal est conceptualisée en grande partie par G.H. Rivière, acteur infatigable de la création de nombreuses structures de ce type en France. Le Castillet conserve encore aujourd’hui le témoignage d’une muséographie fortement calquée sur l’idée des dioramas du Musée National à Paris : afin de mettre en valeur les objets ou les costumes dans les vitrines, et éviter les contraintes des représentations physiques,  pas de recours à des mannequins, mais utilisation du fil de nylon pour l’accrochage, mettant en scène les objets et les costumes, en restituant dans l’espace le mouvement, le volume et les matières : l’homme et l’animal, devenus invisibles, ne sont plus que suggérés. Des “unités écologiques” divisent les espaces. Ce sont des ensembles présentant des thématiques, avec si possible des présentations de tous les objets d’un lieu particulier tels qu’ils étaient dans leur contexte naturel (un intérieur de cuisine est recréé dans l’une des salles avec le mobilier du mas del Gleix, un retable du Rosaire remonté dans une autre salle tout comme un atelier de tisserand dans l’espace consacré au textile et aux coiffes).P1070039

 Les reconstitutions à l’identique dans le musée ont nécessité un rigoureux travail scientifique de repérage, démontage-remontage des objets, et elles se démarquent fortement des évocations nostalgiques et folkloriques présentées dans d’autres institutions muséales de l’époque. Ce travail est réalisé sur place par Joseph Deloncle. La muséographie fait intervenir de nombreuses entreprises locales comme la Miroiterie Perpignanaise pour les vitrines, Fau pour l’électricité, Gorce pour la menuiserie, Bardaji pour les peintures afin de réaliser les installations muséales imaginées par le décorateur J. Barré.

Dès lors, le terme de Casa Pairal, son établissement dans l’emblématique Castillet et les activités qui s’y raccrochent (flamme du Canigou, géants, cours de sardane….) font de cette entité municipale l’un des principaux foyers de la culture catalane du département, alors que le bâtiment devient symboliquement l’emblème de la ville. Ainsi, aujourd’hui, si le musée a  subi l’usure du temps, son intérêt réside autant dans les collections présentées ou conservées en réserves (fonds riche et varié à envergure départementale) que dans le concept marqué de sa muséographie. Ces intéressants dioramas qu’il aurait été utile de conserver comme témoignage d’une époque.

 Qui est Georges Henri Rivière :

 Né le 5 juin 1897 à Paris, c’est lui qui réorganise le musée d’Ethnographie du Trocadéro, qui deviendra le Musée de l’Homme, alors musée français le plus moderne d’Europe, sous la direction de Paul Rivet. Il y présente quelques 70 expositions de 1928 à 1937. De 1937 à 1967, il invente, conçoit et réalise le Musée national des arts et traditions populaires. Il y développera une muséographie révolutionnaire et en assurera le couronnement scientifique par la création du Centre d’Ethnologie Française. Jusqu’à la fin de sa vie, en 1985, il ne cessera de conseiller et d’appuyer la création de nombreux musées de province.

 D’un musée de la société à un musée des sociétés roussillonnaises ?

 La collection d’objets du Musée des Arts et Traditions Populaires de Perpignan, la Casa Pairal, pourrait se révéler pour le profane comme un immense bric-à-brac d’objets en tout genre et de toute taille. C’est toutefois une mine d’or pour la recherche scientifique et la compréhension de la culture roussillonnaise.

 Richesse des collections

Le choix qui résida aux premières collectes ne devait prendre qu’en considération les objets qui exprimaient le mieux le terroir roussillonnais. Cela a permis de faire entrer par exemple dès le début du collectage dans les années 20 des portraits de catalanes souvent anonymes arborant la fameuse coiffe en dentelle, choix qui a éliminé du collectage les portraits « mondains » de perpignanais(es) ou roussillonnais(es) ayant eu une vie active et documentée. Le lit d’Olot provenant non pas d’un intérieur du cru, mais donné par le musée de Gérone en 1957 est aussi un exemple d’une autre tendance visant à assimiler le mobilier Roussillonnais à celui du Principat. Cette amusante mystification est toutefois anecdotique quant à la provenance des objets de la collection, issus pour l’essentiel de l’aire géographique correspondant au département des Pyrénées-Orientales. C’est depuis 1957 en effet que débute véritablement la grande collection ethnographique de Perpignan. Aux premiers objets de la Colla del Rossello et ceux de la collection de Joseph et Jehanne Deloncle, s’ajoutent depuis un nombre intéressant d’objets de toute sorte au fil d’achats, de dépôts et de donations.

66-Pyrénées orientales-Perpignan. Musée des Arts et Traditions Populaires de la Casa Pairal. Portrait de catalane en vêtement d'apparat portant bijoux.

66-Pyrénées orientales-Perpignan. Musée des Arts et Traditions Populaires de la Casa Pairal. Portrait de catalane en vêtement d’apparat portant bijoux.

 Portrait de Catalane,

huile sur toile donnée dans les années 1930 à la Colla del Rossello, récemment restaurée grâce à l’aide du Crédit Agricole. Le costume et ses représentations ont été l’une des principales préoccupations des premiers ethnologues.

Restitution du collectage, quels enjeux ?

Quel statut donner aux objets au sein même d’une institution publique comme l’est un musée d’art et traditions populaires ? Si l’idée même de collection permanente est discutée pour les musées des Beaux-arts, dans une recherche de publics, plus attiré actuellement par la succession d’expositions temporaires sur des thématiques transversales réunissant des objets provenant d’autres institutions ou bien de collections particulières, le musée d’une société vivante doit il pour autant arrêter le collectage?

Il va sans dire que partout en France le contexte culturel est à l’économie et que la constitution d’un fonds cohérent, son étude, et sa restitution au public ne peut exister sans le financement de chercheurs attachés à l’étude des collections et à leur restitution, ce qui dans les villes de province se pose aujourd’hui souvent en défaut.

Dès sa fondation, le musée catalan a possédé une envergure départementale, comme l’écrivait le maire de Perpignan Paul Alduy au sénateur Grégory en 1958 : « il faudrait que tu aies la gentillesse de t’intéresser à ce projet qui, d’ailleurs ne saurait rester un projet municipal, en raison de son indiscutable caractère départemental. »

Aujourd’hui, comme hier à sa constitution, le regard et le sens à donner à un musée catalan en Roussillon relève avant tout d’une initiative et d’une volonté politique. Vernis de façade, vitrine passéiste ou véritable creuset scientifique comme les liens conclus lors de sa constitution avec Georges Henri Rivière, créateur du Musée national des arts et traditions populaires de Paris ? Les attentes actuelles prouvent bien qu’un musée de la société roussillonnaise intéresse en premier lieu (à titre de comparaison et comme preuve de vitalité culturelle), l’ensemble des musées d’art et traditions populaires de France, et plus largement ceux du pourtour méditerranéen. L’intérêt de la recherche sur les objets liés aux cultures traditionnelles n’est plus à démonter tant à la capitale (le Trocadéro vient d’emprunter le déguisement d’ours du Vallespir), qu’en Roussillon, avec les récents colloques autour des Monuments de la Semaine Sainte organisés par le Centre Départemental de Restauration et de Conservation des Œuvres d’Arts, ou bien autour du textile Roussillonnais (Perpignan 2005) ainsi que de la mode en Roussillon (Elne 2007) organisés par l’APHPO tous en lien avec l’Université de Perpignan. Les initiatives visant à valoriser les spécificités de la culture roussillonnaise en exploitant le fonds objet de la collection de la Casa Pairal ont déjà permis entre autres exemples à l’association « Terres Cuites » de publier en 2005 un premier catalogue de poteries vernissées roussillonnaises, à la SASL en 2006 de s’inscrire dans ce mouvement de recherche sur les arts décoratifs roussillonnais avec l’ouvrage référence sur les « Grenats de Perpignan » ou encore en 2007 à l’APHPO (Association pour la Promotion de l’Histoire dans les P.O.) de sortir la  « Fibre Catalane, catalogue d’exposition » retraçant l’aventure du textile.

 P1210683La mémoire ouvrière de Perpignan à travers le fonds graphique, Casa Pairal, legs Charpentier.

 Un trésor culturel pour une société en évolution

L’un des principaux buts du musée n’est il pas d’accroître, dans l’ensemble du Roussillon en premier lieu, puis en France et à l’étranger, l’intérêt, le respect et la compréhension critique des réalisations culturelles et des comportements de la société roussillonnaise ? En ce sens seul un sérieux coup de pouce financier des institutionnels pourra replacer la Casa Pairal dans la liste des institutions qui comptent en France tant par la richesse remarquable des collections (appellation Musée de France par l’Arrêté du 17 septembre 2003 attribuant l’appellation “musée de France” en application des dispositions de l’article 18-II de la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002), que par la qualité des restitutions à venir et des nouveaux discours à tenir sur le passé du Roussillon, société rurale mais aussi citadine, agricole mais aussi industrielle, catalane mais aussi aujourd’hui pluriculturelle.

 Les projets exemplaires de restructurations autour du pourtour méditerranéen ne manquent pas, à commencer par celui, novateur, de centre d’étude et de conservation du proche Muséon Arlaten d’Arles-en-Provence qui va se recentrer pendant plusieurs années sur l’étude et la rénovation de son fonds, développer les liens avec les associations et les centres de recherches des Universités. Le projet marseillais est encore plus novateur avec la création ex-nihilo du MUCEM, Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à vocation internationale et résultant de l’évolution du Musée National des Arts et Traditions Populaires de Paris déplacé et englobé dans ce grand projet en construction. Les objectifs et la décentralisation de ce nouveau pôle traduit la volonté française de relier les peuples de la Méditerranée et de créer à Marseille un grand lieu culturel doit servir de médiation entre les cultures à travers des expositions thématiques d’objets qualifiés de « trésors du quotidien ». Le MUCEM nous interroge à plus grande échelle sur le rôle social d’un musée de société comme la Casa Pairal doit pouvoir prétendre l’être. Son difficile développement n’est il pas la preuve de la faiblesse des institutions de ce type  en France, et du travail encore à fournir en matière de signification dans l’Europe actuelle ?

Un nouveau concept pour demain ?

A la Casa Pairal tel qu’elle est perçue aujourd’hui (c’est-à-dire comme le musée de la société roussillonnaise telle qu’on se la représentait dans les années 1950), s’impose une attente importante du public en matière de rénovation des présentations et du discours. Son concept daté est en contradiction avec les réalités sociales et comportementales qu’admet cette même société et dont l’institution muséale doit être un instrument de compréhension. Un musée de société n’a plus à être un espace consensuel (ah le joli petit musée !!) mais plutôt devenir un musée « dérangeant », amenant dans un discours actuel à une réflexion sur les enjeux sociaux et culturels d’un département en mutation et replaçant les objets anciens en symboles ou transmetteurs de l’identité de ce territoire. La collection de la Casa Pairal doit aussi pouvoir s’enrichir des apports de population d’origines diverses, de religions même anciennement implantées et non représentées dans la muséographie (juive et protestante avant de parler des différentes formes de religiosités musulmanes, maghrébines ou turques par exemple…). De ces apports naissent de nouvelles formes d’expression de la catalanité, ces expressions devant aussi entrer au musée afin de démontrer la vitalité de la culture locale et raccorder le musée aux wagons d’une société nouvelle, représentée par toutes ses composantes dans un idéal « musée des sociétés roussillonnaises ».

L’ouverture de la nouvelle Casa Pairal dans le cadre du Pôle Muséal est prévue le 15 mai 2011, dans une optique plus dynamique et transversale qualifiée de Pôle Muséal. On a depuis rouvert le Castillet. La Casa Pairal, c’est à dire les collections formant le musée sont aujourd’hui en caisse, sans projet de remise en valeur. 

 Le Castillet, Place de Verdun – 66000 Perpignan

Tél : 04.68.35.42.05

 

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