Les Tissages Catalans d’Arles sur Tech, première ébauche d’un tourisme d’entreprise.

Quand Pierre Muchart surfait sur le boom touristique des trente glorieuses

Portrait de Pierre Muchart en 1963.

Portrait de Pierre Muchart en 1963.

Spécificité des productions artisanales du département des Pyrénées-Orientales, le tissage de toiles de coton à motifs variés semble avoir toujours existé. Il apparaît en regardant de plus près les archives privées de ce secteur que cette branche d’activité a connu de grandes évolutions sur une période assez courte, prouvant qu’en moins d’un siècle la situation économique et l’avènement du tourisme  conduisirent les industriels à adapter leur outil de travail et leur production dans une dimension d’artisanat de luxe et une nouvelle conception du produit. Les deux dernières fabriques sont les Tissages catalans d’Arles sur Tech et les non moins fameuses Toiles du Soleil[1], reprises en main par Françoise Quinta de l’ancienne usine Sans et Garcerie. Malgré le succès de cette dernière, les Tissages catalans d’Arles dont l’histoire est tout à fait originale, semblent de leur coté vivre une lente agonie.

Les tissages catalans aux origines

En 1911 l’entreprise « les Grands tissages d’Arles » est crée par Georges Camo (1879-1947), aidé de trois autres associés, Alexandre Anrich et les frères Joseph et Léon Cantaloup. L’usine démarre sa production véritablement qu’en 1913 avec six métiers à tisser et des machines à faire les tresses. La guerre de 14-18 obligea Madame Angèle Camo seule à prendre la direction de l’usine. En 1918, de retour de la guerre, Léon Cantaloup se consacre uniquement à la création d’une usine de chocolat, le décès de Joseph cantaloup et le départ de d’Alexandre Anrich laisse les Camo seuls à la tète de l’entreprise. En 1924, l’usine adjoint à la fabrication des toiles et tresses à espadrille celle du linge de maison et du tissage en grande largeur et toiles de bâches.

Métier à tisser de l’entreprise.

Métier à tisser de l’entreprise.

En 1936 la grève paralyse l’usine, les ouvriers sont rejoints par ceux de la chocolaterie Cantaloup. Ils occupent l’usine et G.Camo est séquestré deux jours. Il quitte l’usine et Arles sur Tech pour Saint laurent de Cerdans jusqu’à la fin de cette occupation. Les locaux ne cessent alors d’être agrandis, métiers et personnel augmentent régulièrement jusqu’à octobre 1940 ou les inondations mettent au chômage les 125 ouvriers. Georges Camo, à 61 ans, reconstruit l’usine en quasi-totalité, sans aides ni subventions. A sa mort en 1947, son beau-fils Roger Chabrier-Moreau assure la continuité. Mais son inexpérience fait presque arrêter l’usine, Mme Camo demande à Mr Azais de diriger l’usine.

A cette époque l’usine réalise encore les teintures grâce à des jiggers[2] en acier inoxydables pour les toiles en petites et grandes largeurs. Elle réalise la teinture des écheveaux avec des bacs de blanchiment et de grand teint auquel est adjoint une sécheuse-apprêteuse. Une chaufferie automatique fournit la vapeur nécessaire à l’atelier de teinture. Le coton reçu d’Egypte et d’Amérique en écheveaux écrus passe par la teinture, le bobinage, l’ourdissage et enfin le tissage. Le lin après le coton est la seconde fibre utilisée à cette époque.

Du tissu au mètre au produit cousu

En 1949, un atelier de confection est mis en place au premier étage afin de fabriquer des sacs, des rideaux, du linge de maison en tissus catalans. Cette activité va devenir de plus en plus importante, notamment lorsque survient la crise de l’espadrille : délaissant la toile de petite largeur qui était revendue aux fabricants d’espadrilles, « l’entreprise mettait sur pied des ateliers spécialisés dans la fabrication de tissus destinés à la confection du linge de table et d’articles de mode. »

En 1950, Pierre Muchart, jeune arlésien, alors jeune diplômé de l’école du Louvres décide de diriger l’usine. Il vient de se marier en seconde noces avec Marie Camo. Formé à Lyon afin d’apprendre tous les procédés de teinture, il dirige ensuite l’usine en utilisant les compétences de chacun des ouvriers. Afin de renouveler les productions, en 1954 les dons artistiques du peintre lancelot Ney (Ney László, 1900-1965), un artiste hongrois marié à une arlésienne, sont employés afin de renouveler la ligne et le design des toiles tissées à Arles-sur-Tech. C’est la naissance de la bayadère.

L’usine passe d’une activité industrielle pure à une activité qui se veut plus artisanale, l’accent étant mis sur la qualité des produits, le constant renouvellement des modèles et sur des clients exclusifs prestigieux. Les contacts sont de suite très bons avec les grandes enseignes du Printemps, des Galeries Lafayette et du Bon Marché ainsi que de petites boutiques réputées de Paris ou des stations balnéaires en vues. L’une d’elles est directement ouverte par Muchart et sa sœur, faubourg Saint-honoré.

projet aquarellé de Lancelot Ney en 1952.

projet aquarellé de Lancelot Ney en 1952.

L’usine fabrique dès lors quantité de linge de table aux nouvelles couleurs du sud, à rayures colorées ainsi que des ensembles et jupes pour femmes et fillettes, des rideaux, des sacs…La confection sur place s’oriente ensuite vers une collection estivale sans cesse renouvelée.

L’avènement d’un prêt-à-porter d’été est le grand pari misé auprès d’un ancien couturier Philippe Forain et surtout de la niçoise Mme martin qui crée chaque hiver des collections de prêt-à-porter estival. Afin de répondre à la mode des sixties, elle créée les jupes colorées et solides pour aller à la plage, les sacs à la fois élégants et rustiques répondant au gout de la génération Bardot (l’actrice a porté des jupes en tissages catalans offerts en guise de publicité !), puis de la jeunesse hippie….

Mise en place d’une exposition permanente

L’autre idée novatrice de Muchart est de vendre en prix « direct-usine » des produits manufacturés à partir de ses propres toiles fabriqués par de petites mains, souvent à leur domicile dans la ville d’Arles. Le contact avec la clientèle est direct dans ce premier magasin d’usine du département des Pyrénées-Orientales. Nous sommes dans une période faste du tourisme de masse en Roussillon. Cet important espace de vente est créé dans un local directement à l’intérieur de l’usine.

étiquette figurant la production de linge de table en production exclusive, vers 1955/1960.

étiquette figurant la production de linge de table en production exclusive, vers 1955/1960.

Afin de faire monter en Vallespir les milliers de touristes qui dès les années 1960 déferlent sur le littoral catalan, il inaugure le premier site industriel touristique du département des Pyrénées-Orientales, en créant autour des métiers à tisser encore en activité, un espace muséal pour conter l’aventure du tissage.

Pour cela il réunit une importante collection d’outils, des rouets, de vieux métiers à tisser, tout en conservant dans le local certaines machines d’origines comme un impressionnant bac de teinture ou encore un gigantesque ourdissoir. Un circuit de visite est ainsi mis au point dès 1963, auquel s’adjoindra un espace audio-visuel plus récemment.

Ami des arts et artiste lui-même, Pierre Muchart exerce au sein même de l’usine une activité culturelle intense, dès les années 1970. Il promeut en les exposant dans l’une des salles de l’usine de jeunes artistes peintres. Il expose lui-même ses propres œuvres encore visibles aujourd’hui.

Fin d’un cycle et nécessaire remise en question

Si la  moitié des ventes s’effectue à la revente, et notamment avec un relais commercial sur la cote d’azur où les jupes, gilets et sacs en toile ont beaucoup de succès, l’autre moitié se fait directement à la boutique de l’usine. En effet, le nombre de visiteurs atteint le chiffre de 100 000 en 1979 ; année ou l’entreprise est récompensée par la venue de madame Anne-Aymone Giscard d’Estaing, lors d’une opération promotionnelle orchestrée parla CCI des Pyrénées-Orientales.

Visite de Mme Anne-Aymone Giscard d’Estaing a l’usine en 1979.

Visite de Mme Anne-Aymone Giscard d’Estaing a l’usine en 1979.

En 1981, l’entreprise emploie encore près de 40 personnes (saisonniers pour la plupart) et réalise 30 millions de francs de chiffre d’affaire annuel, dont la moitié en vente directe usine. Toutefois, les ouvriers vieillissent et le recrutement souffre du problème de la qualification d’un personnel que ce type d’entreprise ne peut faire travailler toute l’année. Pierre Muchart est conscient de ce problème : « nous sommes terriblement handicapés par l’éloignement de centres de consommation, par les frais fixes très lourds, par les transports défectueux et par le manque de personnel compétent, dû au fait que nous ne pouvons leur assurer un travail régulier tout au long de l’année, ni des logements convenables à prix modiques ».

L’entreprise souffre donc de ses propres choix qui, en répondant à un besoin saisonnier, ne peut plus faire qu’une fabrication saisonnière : L’usine vit au rythme binaire de 4 mois de pleine activité et 8 mois d’activité au ralenti. Le vieillissement général du concept mis en place en 1963 sans renouvellement, la baisse de fréquentation touristique des 10 dernières années font qu’en 2002 les machines cessent définitivement de fonctionner. La production n’est plus alors réalisée sur place mais dans les Pyrénées centrales sur les motifs spécifiques aux collections de l’entreprise.

Après le décès de Pierre Muchart, (29/07/1928-            )  les Tissages Catalans semblent attendre aujourd’hui un nouveau souffle, qui ferait renaître cette entreprise, conservatoire d’une histoire, celle de la Fibre Catalane, magnifique outil promotionnel de l’une des identités les plus fortes du département des Pyrénées-Orientales : l’industrie textile.

Bibliographie :

Les Tissages catalans, archives privées de l’entreprise Camo-Cantaloup.

La Dépêche du Midi, « Pour redonner couleur et vie aux textiles catalans les tisserands d’Arles sur Tech ont retrouvé leur plus riche palette », Raoul Lambert, jeudi 23 février 1961.

Midi libre économie, vendredi 28 août 1981, « les tissages Catalans ou Camo-Cantaloup : suivez le guide ».

[1] http://www.toiles-du-soleil.com

[2] Le principe de fonctionnement du jigger consiste à dérouler une pièce de tissu enroulée sur elle-même, à la faire se déplacer à travers un bain de traitement chauffé, puis à l’enrouler de nouveau sur elle même sous forme d’une seconde roule.

 

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6 réponses à Les Tissages Catalans d’Arles sur Tech, première ébauche d’un tourisme d’entreprise.

  1. Schroell André dit :

    Exemple à suivre !

  2. BREUILLOT Pierre dit :

    Bonjour
    Nous faisions il y a quelques années des cures à Amélie le Bains et nous achetions régulièrement de vos produits.
    Vendes vous par correspondance ?

  3. Alexandre dit :

    Merci pour cet article,

    Moi-même j’ai appris bien des choses sur mon histoire familiale en le lisant, Marie Camo est ma grand-mère.

    Très bel hommage,

    Alexandre

  4. DANIEL ROBERT JEAN TREILLE dit :

    POUQOI LAISSER MOURIR UN TEL PATRIMOINE CULTUREL ET HISTORIQUE
    QUE FONT LA MAIRIE ET LA REGION ?

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