Anecdotes roussillonnaises sous la Restauration

«  …. En 1837, Frédéric de la Chapelle acheta le domaine de Corneilla de la Rivière qu’il afferma tout en réservant à son usage la maison d’habitation, donnant sur la place du village ainsi que la cour et ses dépendances. Par derrière, le petit jardin s’ouvrait sur un champ de 5 hectares.

Le Mas Blanc (aujourd'hui détruit) à Saint Cyprien.

Le Mas Blanc (aujourd’hui détruit) à Alenya.

Comme on le faisait admirer à la future propriétaire, celle-ci répondit qu’elle n’y trouvait rien de remarquable, car au Mas Blanc, la plus belle pièce la Couloumine mesurait 60 hectares, en plaine et d’un seul tenant.

En 1839 le jeune ménage acheta pour y habiter une maison située à Perpignan, rue de la vieille intendance, n° 1, qui était l’hôtel des “de Vilar”. Le père “de Boaça” habitait rue St Martin, n°1, dans le vaste hôtel qui appartient aujourd’hui aux Çagarriga.

Lorsque le duc d’Orléans passa à Perpignan, Antoine de Boaça grillait d’envie de le voir sans être vu et voulait tenir fermés tous les volets de sa maison, en signe de deuil sur le passage de l’usurpateur. Il trancha la difficulté en faisant percer dans un contrevent une petite lunette qui existe encore aujourd’hui par où il assista incognito au passage du cortège princier.

Ici je dois raconter quelques originalités de François de Boaça, frère de Mme de la Chapelle, et qui est devenu légendaire dans la famille sous le nom de l’oncle Francisco. Agé d’une vingtaine d’années, il épousa une demoiselle Tastu, âgé de 16 ans et ils firent un voyage de noces de six mois en Suisse et en Italie, sans donner à leur famille d’autre signe de vie que de fortes notes à payer. Ils en revinrent tous deux exténués et malades. Ayant ouï dire que la duchesse de Berry devait faire une traversée pour descendre en France, il acheta un navire de 40 000 F pour le mettre à son service. Mais il revint seul sur ce navire dont il dut se débarrasser à vil prix.

Patio de l'Hôtel particulier de la rue Foch.

Patio de l’Hôtel particulier de la rue Foch.

Il était tellement connu par sa fougue légitimiste qu’un attentat contre Louis Philippe ayant eu lieu, un mandat d’arrêt fut lancé contre lui, il se contenta de répondre à l’interrogatoire : « Si j’avais visé le roi, je ne l’aurais pas manqué ».

En effet, il était si sûr de lui au pistolet qu’on le vit plusieurs fois tirer à balle sur une pièce de 0,50 posée au bout de son soulier. Tout le monde le savait et craignait son adresse. Aussi un jour d’émeute politique, à Prades, la foule le poursuivait de ses huées dans la rue, et Francisco, nullement ému, s’assit sur une borne et se disposa à fumer sa pipe en attendant de voir ce qu’on lui voulait. Comme il tirait de sa poche son étui de pipe, il fut tout surpris de voir un grand mouvement de recul dans la foule qui se dispersa rapidement. On avait pris son étui de pipe pour un étui de pistolet.

Campement de Gitans devant le Castillet, gravure, début XIXe s.

Campement de Gitans devant le Castillet, gravure, début XIXe s.

Il était poète et écrivain, et voulant composer un ouvrage sur les Gitanos, il jugea, avec juste raison, que le seul moyen de bien étudier leurs mœurs était de vivre avec eux ; il mena donc pendant plusieurs jours la vie de roulotte sur les grands routes.

Comme quelqu’un se vantait à tort devant lui de sa généalogie, Francisco riposta qu’aucune famille ne valait la sienne comme ancienneté. « Lorsque Noé eut fait du vin, dit-il, il en présenta une coupe à l’un de ses fils en lui disant : « bois ça », d’où le nom est resté à mon ancêtre ».

Il voyagea beaucoup, séjournant à Paris, Toulouse, Barcelone etc… Et changeant souvent d’appartement dans la même ville, afin de connaître, disait-il, chaque quartier en détail. De haute taille, avec une superbe barbe, parlant plusieurs langues entre autres l’hébreu, ayant un esprit et une verve intarissable, il se plaisait à intriguer les gens et à se faire passer pour un rabbin, un lord anglais…

Il confiait parfois des chevaux fougueux à un cocher inexpérimenté et installé dans la voiture, il jouissait de la lutte de ce pauvre cocher contre des bêtes indomptées.

Menant une vie de grand seigneur, se payant à tort et à travers toutes les fantaisies qui passaient par la tête, tels que livres, instruments scientifiques etc…, il mangeait sa fortune si lestement qu’on le fit naturaliser français pour pouvoir l’interdire. Il était très pieux et mourut à Toulouse en 1877 ou 1878.

Les deux filles de Francisco de Boaça épousèrent deux messieurs Jacomet, cousins, l’un ingénieur, l’autre magistrat, et l’une d’elles, habitant Prades en été, était en constante relations avec ses cousins de la Chapelle et venait parfois à Corneilla avec ses nombreux enfants.

Elle en eut 14 vivants en même temps ! cette bonne parente est morte depuis peu ainsi que son mari, et j’ai eu le plaisir d’aller chez elle à Montpellier du vivant de son mari, conseiller à la cour, homme très distingué.

J’ai revu ensuite Madame Jacomet à Prades où elle passait l’été avec une partie de ses enfants. Les Jacomet et les de la Chapelle ont gardé plusieurs objets d’art provenant des Çagarriga.

Les la Chapelle ont entre autres choses une grande belle console Louis XIV qui ornait le salon de Perpignan, une magnifique glace Louis XIII, quelques vases, saucier, sucrier en vieux Marseille et autres fabriques, des plats et des assiettes en faïence de Moustier dite pomme de terre, deux grands buffets pareil en noyer plein qui n’ont de remarquable que leur proportions et leur solidité, ils étaient d’abord à la salle à manger de Perpignan, puis à Corneilla.

Outre le portrait déjà cité de Joséphine de Çagarriga, on possède le portrait gravé de son frère Jacques, mort célibataire et en qui s’éteignit la branche aînée des Çagarriga. Nous avons aussi sa croix de Malte car il était chevalier de cet ordre.

Jacques de Çagarriga

Jacques de Çagarriga

Comme portraits il y a encore ceux d’Antoine de Boaça, de son fils Jérôme mort enfant ( frère de Joséphine et de Francisco ) et sur une broche, le portrait fort médiocrement exécuté de la marquise d’Aydé ou d’Hayde ( ?) d’une famille de Montpellier parente des Boaça. Ma belle-mère n’en savait pas plus là-dessus.

Madame de la Chapelle avait un caractère vif et décidé mais elle était fort bonne et pleine de cœur.  Élevée dans l’opulence, elle avait passé 6 ans dans un pensionnat anglais à Paris et aimait le luxe sans prodigalité. … »

Source : Extraits d’histoires familiales rapportées par Marie Thérèse de la Chapelle, née le Boucq de Ternas, épouse de Frédéric de la Chapelle, petit-fils de Marie Josèphe de Boaça et Frédéric de la Chapelle, écrites au début du XX° siècle.

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