L’hôtel d’Esprer à Perpignan.

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L’hôtel d’Esprer est l’une des grandes demeures de Perpignan, mais malheureusement son histoire est totalement oubliée ainsi que celle de la famille qui l’habita. Situé dans l’ancien “coronell de Blanes”, premier pâté de maison de l’ancienne “rue des Tarongers” (rue des orangers) appelée ensuite « rue Saint-Martin », et actuellement rue Foch, c’est l’un des très rares exemples (avec l’hôtel de Ros rue des Abreuvoirs) de demeure restée dans la même famille en ligne directe durant toute l’époque moderne, environ 250 ans dans ce cas. La règle est plutôt l’inverse en général (demeures changeant beaucoup de propriétaires).

L’hôtel d’Esprer était déjà dans les mains des Esprer au tout début du XVIIe siècle. Cette famille originaire des environs de Ripoll s’est enrichie dans le commerce des draps et a reçu en 1601 le titre de “burgès honrat de Perpinyà”. Une génération plus tard, elle achète la seigneurie de Boaça (act. commune d’Alénya). Durant tout le XVIIe et le XVIIIe siècle les Esprer, par une habile politique d’alliances, s’imposent parmi les premières familles locales, se distinguent comme militaires, et embellissent leur demeure. Une religieuse entrée au Couvent des Chanoinesses du Saint Sauveur fait aussi parler d’elle. Leur écurie se situe derrière, de l’autre côté de la rue de la Lanterne (actuelle « Casa Bicicleta »). 15972656_739207412901656_2406590656824194431_o

Antoine d’Esprer ou Asprer de Boaça (1776-1848), réussit à éviter la confiscation de ses biens à la Révolution car il est né à Rosas, et donc citoyen espagnol. Dans les années 1830, il soutient les deux causes politiques connexes : du côté espagnol, le carlisme (soutien à la branche masculine des Bourbons), du côté français, le légitimisme (soutien à la branche aînée des Bourbons). En février 1834 il signe un pacte secret avec plusieurs chefs catalans carlistes, dont le duc d’Almenara Alta et la marquis d’Alfarras, et met largement sa fortune à disposition afin d’organiser une base arrière du carlisme en Roussillon. Quelques mois après, en juin 1834, il vend pour cela son ancien domaine de Boaça pour la somme de 420 000 francs or (somme absolument astronomique pour l’époque, un domestique gagnait alors environ 500 francs par an). Le château de Boaça changera de mains et en 1974 sera purement et simplement rasé…. Quant à l’hôtel d’Esprer, il est loué en appartements afin de faire face aux besoins de la famille, qui commence une lente ruine.

Son fils François de Boaça (1808-1878) est un personnage truculent et passionnant. Erudit, esthète, écrivain, il commence à dépenser sa propre fortune dès 1830 en voyages à travers l’Europe, livres de prix, instruments astronomiques. Comme son père, il est passionnément engagé en politique du côté légitimiste et carliste et dépense sans compter : pour offrir un bateau afin que la duchesse de Berry puisse débarquer (après l’échec du projet il devra revendre ce bateau à vil prix), etc. En 1852, il est poursuivi par les créanciers et réussit à convaincre sa sœur, avec qui il était en indivision, de vendre leur demeure perpignanaise qui n’avait pas changé demains depuis les années 1600. L’acte date du 6 novembre 1852. Il est passé devant Fabre, notaire de Perpignan. L’acheteur est une femme, épouse du docteur Viader et née Marie-Thérèse de Llucià, issue de l’une des familles les plus riches de Perpignan qui a su conserver toute sa fortune après la Révolution et même l’accroître par un singulier talent des affaires et une certaine neutralité politique, contrairement à nos protagonistes. Le prix est de 50 000 francs or. Il ne fait pas de doute que c’est un achat à but locatif. Les recherches seraient à poursuivre mais il est probable que la maison ait ensuite été revendue, peut-être à la mort de Mme Viader sans enfants, à la famille de Çagarriga/Guiraud de Saint-Marsal (branche cadette), qui la possédait au début du XXe siècle. C’est sans doute cette dernière famille qui a fait appliquer à la façade un enduit d’un goût douteux fardé de décorations pompeuses de style Rococo.

Signatures au bas de l'acte de vente de l'immeuble.

Signatures au bas de l’acte de vente de l’immeuble.


Dépouillée de sa maison ancestrale, la famille Asprer de Boaça devait poursuivre sa chute. François de Boaça continua à amasser une splendide bibliothèque, sans doute la première du Roussillon à l’époque, mais une fois qu’il eut entièrement mangé ce qui lui restait en argent, il dut dépendre d’une pension de son épouse, puis de la générosité de son ami l’historien roussillonnais Louis de Bonnefoy qui l’hébergea gratuitement à Toulouse jusqu’à sa mort en 1878. A sa mort, François de Boaça ne possédait plus en tout et pour tout qu’un seul bien : les 30 000 volumes de sa bibliothèque.

communication de Sylvain Chevauché.

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