Marie AFFRE(1885-1963), La Coiffe du Pays

Marie Barrère-Affre, est née le 31 juillet 1885 à Perpignan (Pyrénées-Orientales) et morte le 23 juillet 1963 à Collioure (Pyrénées-Orientales). reconnue en tant qu’écrivain de langue française, spécialisée dans les romans pour enfants et sur le Maroc. Elle participe aux Jeux Floraux de Perpignan en 1912 avec deux sonnets, Types catalans, et la Coiffe du Pays.

“Dans la pleiade d’artistes et de poètes dont enorgueillit la renaissance catalane, parmi les Terrus, les Bausil, les Violet, les Sudre, les Maillol, à côté de Jean Amade, de Camo, de Muchart, Mlle Affre nous apparaît comme l’un des meilleurs poètes de la petite patrie que le grand Verdaguer a chantée.”

 

La coiffe du pays

 

Aux compatriotes, au maître François Tresserre, mainteneur des Jeux floraux.

Auréole de grâce frêle et de blancheur,

Réseaux qui tiens captifs les écheveaux des tresses

Et qui poses, sur les bandeaux que tu caresses,

Le feston d’un rinceau, le relief d’une fleur.

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Chef d’œuvre d’Arachné, miraculeuse trame

Où des fils délicats, fins entre les plus fins,

Forment la fantaisie exquise des dessins,

J’aime à te voir sur le front chaste d’une femme !…

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Coiffe de mon pays, dentelle d’autrefois,

Qu’on léguait d’âge en âge, et qui, dans les familles,

Était le don sacré des aïeules aux filles

Et le plus cher trésor des armoires de bois.

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Tu gardes une odeur grisante de verveine,

D’anis et de benjoin, de lavande et d’iris,

Comme si chaque maille à la longue avait pris

Tous les parfums de la montagne et de la plaine !…

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…Car pour mettre l’odeur du Roussillon vermeil

Dans ton neigeux filet, ô coiffe catalane,

Les souffles de l’Albée ou de la Tramontane

Glane l’âme des fleurs qui s’ouvrent au soleil !…

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Tu fais rêver d’aube tranquilles, de soirs mauves

Où passent lentement des filles aux grands yeux,

Ayant ton délicat réseau sur leurs cheveux

Lisses ou frisottants, noirs, châtains, blonds ou fauves…

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Laveuses aux bras nus tout mousseux de savon,

Emballeuses de fruits et marchandes d’oranges,

Ayant la jupe à plis et le grand châle à franges,

Toutes portaient le fin bonnet du Roussillon.

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Dans les blés d’or, faucille à la main, la Catalane

Disparaissait; la coiffe alors, comme une fleur,

Flottait au gré du vent dans l’ardente chaleur,

sans que le vent l’effeuille ou la chaleur la fane.

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Quand la vigne aux sarments chargés de lourds raisins

Tendait une récolte à l’osier des corbeilles,

les bonnets blancs étaient comme un essaim d’abeilles

Dans la plaine où flottait déjà l’odeur des vins.

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Et le soir, à la fin d’une rude journée,

Quand les jutglars cornemusaient à qui mieux mieux

Un ballet de Cerdagne aux triolets joyeux,

Faisait danser gaiement toute la maisonnée.

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Les bonnets blancs dans le vacarme des sabots,

Fraternisaient avec les rouges baratines…

Et c’était une ronde immense d’églantine

Ayant pour cavaliers de fiers coquelicots !

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…Et tout cela, vois tu, ton seul aspect l’évoque,

Coiffe de Catalogne aux fragiles blancheurs,

Qui scelle en tes plis, qui gardes en tes fleurs

Tout un peuple, tout un pays, toute une époque !

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Hélas ! Le front rieur des filles d’aujourd’hui

dédaigne le bonnet des aïeules modestes !…

Ô coiffe catalane, ô dentelle, tu restes

Avec le souvenir d’un passé vite enfui…

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Tu dors en un coffret où moururent des roses,

A moins que des ciseaux sacrilèges et fins

Découpant le contour charmant de tes dessins,

Fassent de ta beauté quelque banale chose…

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Tu dors en un coffret fermé soigneusement !…

On exhume dans quelque fête originale,

Ton réseau délicat, ta blancheur virginale…

Tu revois le soleil…pour un jour seulement !

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Dans l’armoire qu’on prit au cœur même des chênes,

L’obscurité s’étend comme un voile de deuil :

Et le coffret bien clos semble un petit cercueil

Où dorment avec toi nos coutumes anciennes.

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Ô coiffe !…Je voudrais te revoir sur les fronts

Des filles de Céret, d’Elne ou de Villefranche,

faisant à leur traits fins une auréole, blanche

Comme la fleur des lys et la neige des monts !…

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Je voudrais te revoir, pour que tu ressuscites

Des choses qui chez nous semblent devoir mourir :

Les vieux airs catalans, les danses du Capcir,

Les processions dans les ruelles trop petites.

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Les fêtes de Collioure et de Saint-Ferréol,

Les cantiques naïfs, les blanches espadrilles,

Et les jutglars, sonnant les gammes et les trilles,

D’un contrepas brodé sur un thème espagnol !…

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Ce serait le resurrexit de notre terre,

De plus grandes splendeurs et de plus beaux élans !

Le renouveau que les poètes catalans

Rêvent pour leur patrie ardente, noble et fière !…

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Armoires de vieux bois, livrez votre trésor !

Longs pendants balançant des grenats translucides,

Châles bleus, tabliers de beaux satins rigides

Mitaines de fil noir, bas de laine et croix d’or.

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…Alors nos fils, rêvant à l’ombre des platanes,

Verront encor passer des filles aux grands yeux,

Ayant sur l’épaisseur de leur souple cheveux

le transparent réseau des coiffes catalanes !…

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Les aubes de lumière et la douceur des soirs

Verront s’épanouir, en floraisons nouvelles,

Les exquises blancheurs des légères dentelles

Encadrant de clarté la splendeur des yeux noirs…

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Et le pays, grisé par la nouvelle sève,

Dont l’ardente poussée envahira son cœur,

Sera lui-même épanoui comme une fleur

Entre la mer, qui chante, et le mont bleu, qui rêve !…

Marie AFFRE(1885-1963), La coiffe du pays

Poème paru dans le Cri Catalan, 11 mai 1912.

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