La Madone, poème de Marie Affre (1885-1963), 1913.

La Madone

 

Madone catalane

Madone catalane

Sous le porche sculpté de l’église Cerdane,

Un vieux pauvre, vêtu de sordides haillons,

Et coiffé d’une baratine catalane

Est assis. Le soleil le drape de rayons.

 

Il porte, suspendu au cou par des lanières

De cuir noir et luisant, une boite de bois,

Et sa voix nasillarde égrène des prières ;

Les sept psaumes, ou bien les goigs de saint François.

 

Soudain de la pénombre obscure de l’église

Une fille surgit, ayant sur les cheveux

Un foulard vert et rose. Et sa figure exquise

S’encadre des plis clairs du triangle soyeux.

 

Qu’elle soit une enfant de l’Andorre espagnole

Ou de quelque hameau perdu du vieux Capcir,

Catalane au front grave ou brune Cerdagnole

Fille de la Salanque ou du blond Vallespir,

 

Elle s’arrete un peu devant l’homme qui prie,

Fait un geste léger un grand signe de croix,

Puis dit en catalan : « Deu te salve, Maria.. »

…Et le vieillard sourit à cette fraîche voix.

 

Il ouvre à deux battants un panneau de sa boite,

Et sans respect humain, l’enfant tombe à genoux,

Parce qu’une Madone ancienne apparaît, droite

Dans une robe blanche aux plis ternis et roux.

 

Qui sculpta cette Vierge au regard tendre et grave ?

Combien de siècle lents sont ils passés, depuis

Qu’on la couronna d’or comme une icône slave

Avant de l’enfermer dans ce coffre de buis ?…

 

Combien de vieux ont ils traînés leurs espadrilles

de Gérone à Céret, d’Agullana à Ria,

Ouvrant le panneau noir devant des jeunes filles

Qui doucement disaient un Ave Maria ?

 

Dans quel gîte inconnu, dans quelle triste auberge

Le pauvre pèlerin, sentant venir la mort,

Léguait la courroie, et la boite, et la Vierge

Au frère de misère, encore jeune et fort ?

 

L’enfant brune, tombée à genoux sur les dalles,

De ce porche d’église inondé de soleil,

Ne voit plus le vieillard vêtu de loques sales

Et coiffé d’un bonnet qui fut jadis vermeil…

 

Elle ne rêve pas à des choses passées,

Devant cette madone antique, aux yeux pensifs,

Qui trône dans la boite aux planches crevassées,

…Mais fervente, elle prie avec des mots naïfs.

 

« Notre Dame des blés, des oliviers, des vignes

Répandez vos bienfaits sur le champ paternel ;

Et plus tard, donnez nous, si nous en sommes dignes,

Un petit coin de terre…au Royaume éternel !…

 

Reine de la Cerdagne et du Conflent, Marie,

Je vous prie à genoux pour tous ceux qui n’ont pas

Une lande au soleil catalan, je vous prie

Pour celui dont mon cœur vous dit le nom tout bas…

 

La grande mer a plus d’une méchante vague !…

Si vous le préservez de tout mal, je fais le vœu

d’attacher mes pendants de grenats et ma bague

A votre cou, Madone, avec un ruban bleu.

 

Faites que nous ayons une barque à Collioure,

De solides filets, une blanche maison,

Un jardin avec un figuier « coll de senyora »,

Et quelques petits gars..pour vendre le poisson.

 

Alors, ayant aussi bien défini son rêve,

Formant avec deux doigts de sa main une croix,

Elle les baise, puis se signe et se relève,

En murmurant : « Ainsi soit-il » à haute voix.

 

Dans le plat que le vieillard tend, elle dépose

Deux sous qu’elle a tiré de sa poche en riant.

« Dieu vous garde.. »dit il, le foulard vert et rose

S’en va sous la splendeur du soleil éclatant.

 

Et palpite dans un frisson de Tramontane

Comme une aile d’oiseau qui va prendre son vol.

Sous le porche sculpté de l’église cerdane

Le vieillard dit les goigs du grand saint Ferréol.

 

Cette poésie de Marie Affre a été primée (violette) aux jeux floraux de Toulouse en 1913.

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