Rose d’argent aux Jeux Floraux de Font-Romeu de 1926.
I
Que les vents de la mer ou de l’Espagne tordent
Les rameaux hérissés de genévriers bleus,
Que d’éclatants juillets te chantent, Font-Romeu,
L’hymne où les voix des pins et des torrents s’accordent ;
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Que la source, au printemps ; remplisse le cruchon
D’une eau fraîche qui sent la jeune frigoulette,
Où que l’hiver, ce grand décorateur, te mette
L’enveloppement blanc d’un souple capuchon ;
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Que le rosaire pur des saisons se déroule,
Et parmi des odeurs de grappe et de froment,
Répète au ciel penché le Té Deum fervent
De la meule qui tourne et du pressoir qui coule.
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Immuable, à ton flanc, tu portes, Font-Romeu,
Le clair joyau que t’ont légué les anciens âges,
L’ancestral reliquaire ouvré d’or et de feu,
Bouquet de cierges en prière : l’Ermitage…
II
La fontaine païenne où la nymphe habitait
S’est tarie au milieu des cressons et des meules
Rien ne survivra plus de ce qu’elle abreuvait…
Les dieux se sont enfuis, peureux, le long des pentes,
Le soir où le premier Credo noua, subtil,
Entre l’homme et les cieux de secrètes ententes ;
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Et les légendes où passaient d’ardents profils
S’égrènent une à une au-delà des mémoires,
Comme un collier dont on aurait brisé le fil…
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Quand l’herbe eut envahi les autels dérisoires,
Couvrant les noms de Mars, du faune ou d’athénée,
L’humanité courut d’un élan de victoire
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Vers le nouveau Seigneur qu’elle s’était donné.
Un désir d’oraison brûla toutes les bouches ;
Un vent d’humilité courba les fronts farouches,
Et ce doit être alors que l’Ermitage est né !
III
Il est né de la foi des races catalanes,
De tous les vœux secrets, de toutes les ferveurs
Qui suspendaient des croix, des colliers et des cœurs
Sur le corsage d’or de la Vierge cerdane,
Et versaient à ses pieds, des pleurs…
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Car elle fut pour nos aïeux, dès l’origine,
Celle que vénéraient, prosternés, les taureaux,
Et qu’un pâtre ébloui trouvait au bord des eaux ;
Signe mystérieux de clémence divine
Descendu sur les hauts plateaux !
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Elle fut celle à qui vont les pèlerinages
Dans des « carros » pimpants attelés de mulets,
Avec des repas froids dans de profonds filets,
Des filles se drapaient de châles à ramages,
Des vieux disant des chapelets…
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Elle fut celle que priaient les amoureuses,
Promettant les grenats de leurs pendants trop lourds,
Et suppliant pour le destin de leurs amours,
La Reine des foyers et des mères heureuses,
La Dame d’éternel secours !
IV
O Refuge assuré de toute âme plaintive,
Madone de chez nous, brune comme l’olive
Au milieu de vos bouquets d’or,
Puisque nous célébrons la Vierge montagnarde,
Qu’en échange votre bonté bénisse et garde
Le peuple qui vous aime encor…
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Ainsi que vienne à vous le parfum des garrigues
Et des jardins remplis de roses et de figues !…
Que vienne, évadé des chemins
Et des vignes où les sarments pleurent leur sève,
Le chant des archets cristallins
Du monde des grillons, qui rêve ! …
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Que s’exalte, au fond des grands bois pleins de rumeurs,
Invisible et pourtant si pénétrant, le chœur
Des rossignols au clair de lune…
Que la vague à Collioure en effleurant la tour
Qui baigne, rose, en la mer brune,
Soupire une plainte d’amour !…
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O Concert !…que le vent, pour que rien ne te manque
T’apporte le refrain d’un marin de Salanque.
L’air de flute d’un chevrier,
L’Angélus du clocher d’Elne l’épiscopale,
L’oraison du contrebandier
Qui glisse sur des chemins pâles…
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Et de ces bruits ailés, de ces parfums confus,
J’ai voulu faire un chant que je ne dirai plus :
Le poème d’un soir unique !
Madone, écoutez-le dans mon cœur délivré,
Et brisez, après la musique,
Le violon trop enivré…
Marie BARRERE-AFFRE
L’éveil catalan, 28 aout 1926.