LA PUBILLE

Elle est plus belle que les fleurs des cerisiers,

Plus fraiche qu’un rameau d’odorantes églantines,

Sa bouche a le parfum et l’éclat de l’œillet,

Sa joue a le teint d’une orange majorquine,

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Des bagues cerclées d’or alourdissent ses doigts,

Et des pendants de grenat saignent à ses oreilles,

Et quand elle y suspend des cerises vermeilles,

Elle est comme la fée des jardins et des bois,

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Sa voix est comme un son de prime, vif et clair,

Ses chansons préférées sont de lentes sardanes

Que jouent avec orgueil les coblas catalanes,

Les soirs de fête, quand l’alégresse est dans l’air.

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Ans ses yeux qu’on dirait d’une sicilienne,

La volupté allume et fait brûler ses feux…

Oh, quels songes d’amour cette patricienne

En secret laisse éclore en son cœur orageux !

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Elle ne rêve pas, cependant, la pubille

D’un hereu riche et grave, aux durs éclats de voix ;

Elle aime un muletier dont le regard qui brille

Emut son âme vierge, un matin dans les bois.

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Elle aime un muletier dont la voix lui murmure

De naïves chansons de mystère et d’amour,

Et dont la main lui cueille, aux buissons noirs, des mûres

Dans un cistell d’osier qu’il lui tressa, un jour.

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Elle dit son espoir, d’une voix grave et pure,

A la Vierge, et promet – au beau jour des aveux –

De pendre, en ex voto, dans la chapelle obscure

Une tresse de ses cheveux.

.

-Mais déjà on entend les limpides sonnailles

Des mulets aux pompons écarlates…voici

Au détour du sentier que cachent des broussailles

Apparaître – soudain – un visage bruni…

.

La pubillette alors jette sur ses épaules

Un châle ancien aux ramages bariolés,

Pique en ses cheveux noirs qu’un souffle léger frôle,

Un grand coquelicot cueilli parmi les blés ;

.

Et dans un gracieux balancement de hanches

Elle s’en va vers la rivière qui mugit,

Traverse à pas pressés la passerelle en planches…

Et le brun muletier à l’autre bout surgit !

.

Abdon POGGI

L’éveil catalan, 18 janvier 1930

Dessin de Gustave VIOLET
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