Costumes pyrénéens: la vallée de Bethmale

Paysanne de Bethmale

Paysanne de Bethmale

PYRÉNÉES, LES MONTAGNES, LES GLACIERS, LES EAUX MINÉRALES PHENOMENES DE L'ATMOSPHERE, LA FLORE, LA FAUNE ET l'HOMME
PAR EUGÈNE TRUTAT, 1894.

La vallée de Bethmale conserve encore les costumes d’autrefois, et les mœurs de ses habitants se ressentent encore de l’isolement dans lequel ils se sont maintenus jusqu’à présent. Tout dernièrement, un érudit, M l’abbé Cau-Durban, a consacré une étude fort intéressante à cette vallée, et c’est à ce travail bien fait que nous empruntons les renseignements qui suivent. C’est par le costume de ses habitants que cette vallée s’est créé auprès des touristes une célébrité dont elle jouit sans partage dans la région. « Le costume de l’homme se compose d’une petite calotte qu’il porte coquettement sur l’oreille ; elle est d’étoffe rouge et bleue rehaussée de paillettes d’or et de jolis dessins en soie. Les jours de fête, la calotte cède la place au chapeau à large bord entouré d’un ruban noir. La veste courte est de mise dans la même circonstance; mais, en dehors des jours d’apparat, le jeune fadri porte un tricot blanc, bordé d’un liseré de velours et chamarré d’innombrables arabesques qui courent en tous sens sur la poitrine et sur les bras. Sous le tricot, un gilet blanc s’entrecroise comme l’ancien habit du Directoire, sur une chemise à haut col richement brodé. Puis une culotte étroite, retenue par un gros bouton jaune, va se rattacher aux guêtres serrées aux genoux par de belles jarretières de soie. Chaussez vos gars de ses solides sabots à pointe recourbée, donnez-lui un long et solide bâton, et vous aurez le plus turbulent, le plus fier et le plus sobre des pâtres pyrénéens ».

jeune fille portant le cascarinet.

jeune fille portant le cascarinet.

Le costume de la femme est fait de luxe et de coquetterie : aussi il relève bien, sans les exagérer, tous les agréments d’une nature charmante, sans affectation et sans fard. « Une cornette de lin qui enveloppe tous ses cheveux, retombe légèrement sur ses épaules et forme un cadre de lignes blanches autour de son front et de ses pommettes vermillonnées. Cette cornette est retenue par une coiffe rouge enluminée de gracieux dessins et pressée par deux tours de ruban qui la couronnent d’une sorte de diadème à beaux reflets ; une veste de diverses nuances, aux manches courtes, qui dégagent l’avant-bras, dessine sa taille, et une jupe, très plissée sur les hanches, laisse voir l’extrémité de la jambe, et ses sabots chéris, dont l’amour avec art relevé la pointe en figurant un dard ». Pour complément de toilette, un foulard à grands ramages couvre les épaules ; un tablier à petits carreaux ou de teinte unie est retenu autour de la taille par un large ruban de soie bleue, et une bavette en croissant, remontant à la hauteur de la gorge, entoure les broderies d’une fine chemise sur laquelle scintille une épingle brillante ; une chaînette en fil de laiton retient un faisceau de cordons de cuir auxquels sont attachés la bourse, les ciseaux et les clefs de la ménagère… et le légendaire couteau du bel âge à manche de corne parsemé de clous qui rappelle des jours et des serments évanouis. « La petite fille et le garçonnet, jusqu’à l’âge de huit ans, portent le même costume : robe, tablier à bavette avec cascarinet illustré de bouquets de rubans, de paillettes et de boutons multicolores. A l’âge d’aller à l’école et à l’église, le bambin prend la petite culotte et le béret, laissant à sa jeune sœur sa défroque du bas âge ». L’un des objets les plus remarquables de la toilette bethmalaise est le sabot élégamment recourbé en pointe effilée, chamarré de clous jaunes dessinant sur l’empeigne des cœurs ou de petites rosaces ; les brides de fer sont parfois de ravissants chefs d’œuvre de gravure, où le forgeron du village a épuisé toute l’inspiration de son génie artistique. « D’ordinaire, ces sabots, œuvre de patiente adresse, sont le cadeau de Noël, que le fadri offre à sa future. Viennent les jours gras, la jeune préférée recevra encore de la même main une quenouille rouge et son fuseau, qu’elle promènera dans le quartier avec une vaniteuse ostentation, au grand déplaisir de ses rivales. En retour, elle doit offrir, aux mêmes fêtes, une paire de jarretières, à glands, un béret ou une bourse empanachée de rubans, de paillettes ou de jais. Ce costume, si intéressant ou si étrange qu’il soit, n’autorise pas l’induction de quelques esprits aventureux qui ont pensé que les habitants de cette vallée constituaient un groupe ethnologique qui n’avait pas de similaire dans nos contrées. De récentes observations sont loin de confirmer cette opinion. Nous inclinons plutôt à croire que ce costume appartient aux anciennes peuplades de nos Pyrénées. Abrité contre les invasions mobiles de la mode, dans ce coin isolé, il a pu, plus facilement qu’ailleurs, se conserver dans sa forme primitive. Avec quelques modifications de couleurs, on en retrouve des vestiges, tels que le corsage à courtes manches, la bavette, la jupe plissée, la culotte et la veste de bure, dans les hautes vallées du versant français : Massat, Ossau, etc ». Quoi qu’il en soit, ce costume est fort singulier par sa coupe et l’harmonieuse diversité de ses couleurs, et pour sa confection, le Bethmalais n’a besoin du secours d’aucun ouvrier étranger. La femme file lin et la laine ; l’homme tisse, coupe et confectionne. Le Bethmalais est essentiellement pasteur, et pendant toute la belle saison, il stationne dans la haute montagne avec ses troupeaux. « Comme le pâtre italien, il passe volontiers sa journée à faire retentir de ses chants et de ses longs sifflements les prés et les bois. « C’est d’instinct que le Bethmalais est berger comme son aïeul et son père. Tout enfant, à peine sait-il se tenir sur ses jambes, qu’il saisit un bâton, et qu’il court après l’agneau, sifflotant, hélant comme le vieux qu’il doit remplacer. S’il n’avait pas son troupeau, plus de lait, plus de fromage, plus de laine, la misère noire dans toute la vallée ». Berger par vocation, le Bethmalais devient chasseur par accident. Il a, autour de lui, des pièces de choix, l’isard, le coq de bruyères, le lagopède. Elevé dans les habitudes normales de la vie pastorale, il n’a pas d’aptitude pour l’agriculture. Il ensemence son champ pour recueillir une moisson indispensable à l’entretien de sa famille ; mais il ne l’améliore pas. Le travail des champs incombe aux femmes ; l’homme le dédaigne par fierté ou par crainte d’une fatigue à laquelle ne le dispose guère l’oisiveté de ses habitudes nomades.

« Cependant le Bethmalais est actif, industrieux quand les nécessités de la vie l’exigent. C’est lui qui bâtit sa cabane, qui pourvoit son ménage de tout l’outillage nécessaire. Il excelle surtout dans l’art de travailler le bois. Ses plats, ses cuillères, ses sièges, ses tables, tous les genres de vases nécessaires à la conservation du lait et la fabrication du fromage, c’est lui qui les façonne dans un tronc de hêtre ou de sapin, avec les instruments les plus rudimentaires, la hache et le couteau ». Profondément attaché au sol qui l’a vu naître, il n’émigre qu’à regret, et encore s’éloigne-t-il le moins possible de ses montagnes. « La vie des champs donne aux jeunes filles une liberté dont elles abusent parfois, et bien des couronnes s’effeuillent avant l’heure. J’estime cependant qu’elles valent mieux que leur réputation ; les mauvaises langues sont injustes, et je ne sais pas si la femme de César eût longtemps gardé intact l’honneur de son nom dans les carrefours de nos villages.

Nourrice bethmalaise de la famille de Massia, toulousaine mais d'origine catalane. Ils résidaient l'été au château de Molitg.

Nourrice bethmalaise de la famille de Massia,  vivant à Toulouse mais d’origine catalane. Ils résidaient l’été au château de Molitg.

«  La mode aujourd’hui est d’aller chercher des nourrices dans cette vallée ; et l’on aperçoit souvent, sur les promenades de Saint-Girons, de Foix et de Toulouse, le voyant costume de Bethmale. Les principaux événements de la vie : naissance, mariage et décès, donnent lieu à quelques cérémonies que nous ne devons pas omettre. Peu d’heures après sa naissance, l’enfant est habillé de sa plus belle robe et couché dans un berceau couvert d’un châle rouge ou blanc, suivant le sexe du nouveau-né. On le porte à l’église pour le baptême ; mais, avant de franchir le seuil de la maison, le père et la mère le bénissent. Que Dieu donne une longue vie et des jours heureux». A son retour, il est fêté dans un modeste repas dont le parrain et la marraine font tous les frais, et ils ne sont pas ruineux. L’un a fourni le pain et le fromage, et sa commère le vin. Si le nouveau-né est un garçon, sa naissance doit être saluée par une salve de coups de pistolets. La donzelle qui est chargée de porter l’enfant doit bien se garder de tourner la tête en chemin. Un oubli sur ce point serait fatal au nouveau-né, les sorcières prendraient empire sur lui ; et l’on aura soin, pour conjurer leurs maléfices, de suspendre à l’arc du berceau quelque objet béni ; les plus avisés ne manquent pas de tourner le couvre-pied à l’envers. L’enfant peut dormir tranquille alors, l’influence des malins esprits est paralysée par cette ingénieuse précaution. Le mariage est encore ici précédé de cette cérémonie de la capture, qui, au rapport de Plutarque, existait jadis à Sparte. La veille des noces, sur le déclin du jour, le futur, escorté de ses donzaux, se dirige vers la maison de sa fiancée. La porte en a été préalablement close. Le futur frappe trois coups. Un dialogue chanté s’établit entre les donzelles qui sont dans l’intérieur et le groupe du fiancé qui demande à entrer. Les garçons énumèrent les divers cadeaux que le fiancé apporte ; mais les filles font les dédaigneuses jusqu’à ce qu’elles entendent ce couplet :

Un gouyatet l’yn porto

E nobi à sa nobio

Un gouyatet l’yn porto.

La porte s’ouvre et la troupe joyeuse fait irruption dans la maison. La fiancée a disparu. On se met à sa recherche ; on fouille tous les coins de la cave au grenier, et celui qui a eu la bonne fortune de la découvrir l’embrasse le premier et conduit le précieux trophée au fiancé. La veillée se passe en amusements et en préparatifs de la fête du lendemain. Les jeunes filles décorent de rubans et de fruits de gigantesques rameaux de laurier ; les donzaux font sauter, à tour de rôle, la crêpe traditionnelle de blé noir qui doit régaler la société. Quand l’heure de la cérémonie religieuse est arrivée, le garçon d’honneur se présente pour chausser la fiancée.II loge aisément le pied droit dans son soulier neuf ; « Il apporte un jeune homme (gouyatet) et le fiancé à sa fiancée (nobio). » mais le pied gauche ne peut entrer ; la chaussure est trop étroite, trop courte, il faut une grande plume de poule ; la maîtresse de céans porte le volatile plus gros de sa volière, en choisit la plus belle plume de l’aile que l’on place sous le talon de la fiancée, et, par enchantement, voilà le pied dans le soulier. La poule demeure l’otage des donzaux. Richement enguirlandée de fleurs et de rubans multicolores, comme les antiques victimes, elle fait partie du cortège qui se rend à l’église précédé des lauriers que portent les donzaux. A défaut d’orgue, c’est la poule qui est chargée, durant la cérémonie, de réveiller par ses cris stridents les échos de l’église. L’un des donzaux a pour mission de provoquer son chant par d’incessantes tracasseries ; ce chant est de bon augure pour l’heureux couple ; s’il manquait, l’un des invités, dissimulé dans un coin de l’édifice sacré, devrait en imiter le gloussement, afin qu’aucun présage de bonheur ne manquât à l’hyménée. De retour à la chambre nuptiale, les nouveaux mariés s’agenouillent sur deux chaises, et chacun des invités vient à son tour les féliciter et les embrasser, en déposant son offrande dans un bassin. La journée se termine par un copieux festin suivi de chants et de danses. Les sépultures donnent lieu aussi à un repas simple, frugal, dans lequel on s’interdit la viande. Le laitage et le riz en forment le fonds ; il doit de rigueur se terminer par une prière pour le repos de l’âme du défunt. Le deuil est porté avec le grand manteau noir et le chapeau à larges bords que l’on ne quitte même pas d’un an à l’église pendant les offices. On se fait un religieux scrupule d’observer, dans l’inhumation, l’ancien usage de tourner la tète du mort vers l’orient. C’est de là qu’est venue la lumière, c’est de là qu’est venue la promesse de la résurrection. Le défunt est accompagné au cimetière avec d’exubérantes démonstrations de douleur ; c’est un bruyant concert de cris et de plaintes dont la bruyante expression fait douter parfois de la sincérité des regrets. Ces lamentations sont entremêlées de soupirs et d’apostrophes au mort : une véritable oraison funèbre dont les détails paraîtraient plus d’une fois burlesques, si la naïveté ne les excusait. »

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1- David Cau-Durban, Vallée de Bethmale, mœurs, légendes et coutumes, histoire, courses pittoresques, géologie.

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