Les acteurs de la mode et leur rôle au XVIIIe s. à Perpignan, la capitale du Roussillon.

Gamelin, J., jeune mère habillant ses enfants, fin du XVIIIe s.

Gamelin, J., jeune mère habillant ses enfants, fin du XVIIIe s. Gamelin a séjourné de nombreuses fois à Perpignan.

La confrérie des tailleurs est l’une des plus anciennes de Perpignan. Ses statuts très stricts à sa création en 1522, vont peu à peu s’assouplir jusqu’au XVIIIe siècle1. Les ateliers de couture sont nombreux mais seuls les maîtres tailleurs ont le privilège de fabriquer les vêtements de dessus, c’est-à-dire ceux portés sur les sous-vêtements.

L’atelier joue parfois le rôle de boutique où l’on peut acheter du tissu ou bien trouver des habits confectionnés ailleurs ou d’occasion. Autour de Maître Castras par exemple en 1770, s’établit tout un circuit commercial entre de « petites mains » qui confectionnent ou raccommodent chez elles des pièces spéciales comme les escarpins, et le particulier qui porte le tissu et passe seulement commande pour la façon2. Ce marchand tailleur effectue dans son office toutes sortes de raccommodages ou de transformations3. Les tailleurs ont leurs clients réguliers, tel le chanoine Pontich qui commande chaque année ses chemises de Rouen garnies et marquées, ainsi que ses chemises de nuit. Les demoiselles Nemoront et Miric, d’un milieu populaire, s’y font confectionner des jupes piquées et l’illustre Don Joseph de Copons4 y commande des paires de manchettes brodées, des engageantes et des tours de gorges.

A. Raspal, latelier de couture, Musée Réattu, Arles.

A. Raspal, latelier de couture, Musée Réattu, Arles. Cet atelier provençal est proche de l’ambiance que devaient avoir les ateliers de Perpignan.

Également lieu de revente, l’atelier du tailleur d’habits concurrence les nombreux fripiers de la ville. Vers 1777, Un autre tailleur anonyme s’est spécialisé dans la confection et l’achat de pièces vestimentaires pour les revendre ensuite à Perpignan et dans tout le Roussillon5. Sa boutique est aussi fournie en éventails, boites d’écaille, cordons de montre, grenats. Il s’approvisionne en tissus et autres articles à la foire de Montagnac ainsi qu’ « aux espagnols qui restent près le marché au bleds (place Rigaud) pour des mouchoirs de soye ». Il vend des coiffes, des bonnets du pays, des cbonnets de Narbonne et de Ségovie, des capuches ainsi que des vêtements d’intérieur comme culottes, tabliers et jupes d’indiennes, des matelotes et des bas. Sa clientèle est domiciliée dans divers lieux de la province. Ce marchand semble à la tête d’un réseau de colportage, ce qui lui permet au passage d’acheter des peaux de fouines et de loutres (fagines), espèces alors répandues en Roussillon, qu’il prépare et vend sous forme de fourrure à Lyon.

Jupe en indienne

Jupe en indienne, motif ramoneur à cause du fond de couleur sombre.

Enfin, d’autres collègues sous-traitent pour lui, tel le maître tailleur Flamant, pour qui il fait « deux accommodages de robes de madame La Fuye ainsi que deux façons de déshabillés ». Certains d’entre eux sont en outre habilités à estimer et identifier les tissus et les effets lors des successions6. C’est grâce à eux que nous disposons de descriptions très précises sur la nature des tissus, leurs noms usuels et leur couleur7. Le secteur de l’habillement mobilise un grand nombre d’artisans. Perpignan, par exemple, compte en 1767, 10 maitres boutonniers passementiers et enjoliveurs, 5 maîtres chapeliers garnisseurs, 29 marchands drapiers, 19 perruquiers et étuveurs, 7 gantiers ou parfumeurs. On recense aussi 99 maitres tailleurs, fripiers et chaussetiers alors qu’ils n’étaient que 76 en 1762. Le secteur apparaît donc comme florissant au cours de la seconde moitié du XVIIIe s. La mode française se diffuse auprès de l’ensemble de la population, des personnes les plus en vues jusqu’aux classes populaires, par le jeu du réemploi. La circulation des vêtements et des modèles devient de plus en plus évidente dans le sens Paris-Perpignan. Des commandes locales sont attestées auprès de fournisseurs parisiens. Les gravures de mode permettent aussi aux Perpignanaises les plus riches d’avoir connaissance des dernières nouveautés. Certaines robes et accessoires sont commandées à Paris ou à Lyon, capitale de la soie. Elles sont adaptées ensuite par les tailleurs locaux qui en étudient ainsi la coupe. La commande de robes prise par un coursier parisien pour le manufacturier perpignanais en étoffes et bas de soie Jean-Baptiste Maris (1695-1753) est révélatrice de ces circuits commerciaux. A l’occasion de son second mariage, après l’achat de la charge de maire de la ville de Perpignan, il a le dessein de faire venir de Paris des robes en soie et leurs garnitures pour sa future épouse Françoise Ducup. Le coursier indique : « Je lui avais représenté en réponse que les marchands de Paris font venir leurs étoffes de Lyon, je lui conseillais d’y faire l’emplette des commissions qu’il me donnait et qui couteraient moins par rapport aux profits des marchands et aux frais des doubles voitures. Il me fit réponses que pour les avoir plus belles et de meilleurs goûts, on lui avait conseillé de faire ces achats à Paris, ce qu’il m’écrivit de faire. Je chargeais mes filles de faire ces emplettes suivant le mémoire détaillé qu’il m’avait envoyé et dont il me marquât que madame son épouse qui les avait reçues en était fort contente. » Nous sommes à Perpignan en 1737. Ce personnage veut briller aux yeux à la fois de la société perpignanaise mais aussi de sa belle famille de vieille noblesse8. Nous voyons bien là l’éclat que la mode parisienne pouvait déjà représenter en Roussillon dans la première moitié du siècle, et le prestige des tailleurs parisiens sur les tailleurs provinciaux.

Robe à la française, vers 1730.

Robe à la française, vers 1730, passée en vente publique.

Dans le livre de compte de César Sonnerat, marchand d’étoffes de soie et de nouveautés à Lyon9, rédigé de 1755 à 1764, on retrouve dans la liste des clients dispersés de Lisbonne à Saint-Pétersbourg, des perpignanais, tailleurs d’habits pour la noblesse, ou des nobles. Le tailleur Samaran lui commande des étoffes de soie : « péruvienne, dauphine et moire », ainsi que des vêtements ou garnitures : « veste fonds argent et relevé, tablier à l’espagnole pour robe en dorure, paire de jarretière en or doublé, garniture de robe contenant tablier, collier, busquière, nœud des manches en soie, coiffures à barbes négligée ou à mi-tête, paire de manchettes et tours de robe en blondes, des robes de soie et coton, de taffetas ou de Florence peint, des garnitures à l’espagnole, manteaux en dentelle noire ou en blonde , coiffes en blonde avec collier, nœud de manches et palatines ». On perçoit un grand raffinement dans les produits commandés. Ces éléments permettent de monter des robes complètes pour la clientèle roussillonnaise fortunée. Par ailleurs, il convient de différencier le qualificatif de catalan, terme que l’on peut retrouver dans les inventaires des effets des classes populaires, du qualificatif « espagnol » qui est attesté dans ces commandes. A cette époque, il est alors divertissant de s’habiller « à la manière de », par exemple à l’anglaise, à la polonaise, où encore à l’espagnole. Cette passion pour la mode est évident pour Antoinette Tabariès, décédée en 1763 et qui vivait rue des Marchands à Perpignan avec par exemple 14 robes avec leurs « jupes de satin, moire, perse, indienne, batavia, gros de Tour, satin rayé, taffetas mordoré, indienne à fonds blanc à guirlandes et bouquets ». Nous pouvons y percevoir l’aisance financière de cette famille de marchands nobles. Bien d’autres inventaires roussillonnais révèlent une passion dévorante pour la mode et le paraître. Les dernières nouveautés sont portées par celles qui se déplacent à la capitale. Louise Elizabeth de Montrond, femme du commandant de la citadelle de Perpignan, laisse à sa mort en 1771 des dettes envers madame de Neve, marchande à Paris, pour « compte des choses de mode par elle fournie pendant son séjour 10». Elle était aussi une cliente régulière des tailleurs locaux.

Portrait de femme de la noblesse ou de la bourgeoisie, Italie, seconde moitié du XVIIIe s.

Portrait de femme de la noblesse ou de la bourgeoisie, Italie, seconde moitié du XVIIIe s. La mode française a dépassé les frontières du royaume .

1 De même pour l’ensemble du royaume, Boucher, (F), Histoire du costume, 1965, p.318.

2 Compte pour la façon d’un frac de ratine rouge.

3 ADPO, 1 J 471, 1769/1772.

4 Lazerme, (P), Noblesa catalana, T.1, p.340.

5 ADPO, 1 J 470, 1776/1778.

6 ADPO, 3 E 5/37, par exemple le maître tailleur Samaran participe à l’inventaire des biens d’Edmée Cari, 1761.

7 Bayard, (F), De quelques boutiques de marchands de tissus », colloque de Montpellier, 1997, p.435.

8 Fonquernie, (L.), « Jean Maris, biographie…. », La Fibre Catalane, Perpignan, Trabucaire, 2005, p.39-67.

9 ADPO, 1 J 467

10 ADPO, 3 E 22/244, 1771.

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