La solidarité à l’épreuve chez les bijoutiers perpignanais dans la seconde moitié du XIXe s.

P1090836

Soumis aux fluctuations de la conjoncture, les ateliers de bijouterie connaissent une importance variable à Perpignan au cours du XIXe siècle. En 1858, l’atelier du bijoutier Joseph Mourat, 20 rue de l’Argenterie, comprend par exemple « un établi à 7 places, plus une place séparée ». Comptant près de dix employés, cet atelier, par le volume de son personnel, n’est pas loin d’atteindre une dimension industrielle. A la faveur de cette situation, vingt ans plus tard, le chef-lieu conserve une nette suprématie dans ce secteur d’activité : « Perpignan en raison de son importance comme centre et chef-lieu du département est sans contredit au dessus des autres villes de son ordre relativement à la bijouterie. Il occupe déjà une soixantaine d’ouvriers presque tous employés à la fabrication des grenats ou bijoux du pays ». En 1885-1886 par contre, les dix-sept établissements de bijouterie ne comprennent plus qu’une trentaine d’ouvriers. Ce ralentissement des affaires, dans une période de grave crise de l’emploi, conduit à une diminution de moitié du personnel, par rapport au nombre d’ouvriers recensés en 1878.

La situation s’améliore au début du XXe siècle et correspond à une nouvelle vague d’essor du grenat catalan. En cette période de rétablissement, le 25 juillet 1904, le ministre de l’Industrie décerne la médaille d’honneur du travail à Henri Malis, ouvrier dans la maison Charpentier. Son collègue Joseph Daniel, déjà proposé à cette date, la reçoit en janvier 1905. Le secteur de la bijouterie est alors reconnu comme l’une des principales activités perpignanaises.

Après la Grande Guerre, cette branche d’activité accueille de nombreux invalides, dans des ateliers en pleine expansion. Ceux-ci emploient en moyenne dix ouvriers issus de différentes générations. Bien que le métier soit ordinairement masculin, quelques jeunes filles sont en outre spécifiquement employées au polissage des bijoux, dernière étape précédant la mise en vente des produits.

Au XIXe siècle, la communauté des bijoutiers de Perpignan apparaît également comme un corps de métier soudé. Les solidarités s’expriment par exemple en 1872, lors du cambriolage de l’atelier du jeune bijoutier indépendant André Calvet, rue saint Dominique. Ses confrères organisent une loterie pour lui venir financièrement en aide :

« Il y a quelques jours, des voleurs s’introduisirent la nuit dans le magasin de M. Calvet, bijoutier, rue Saint Dominique et le dévastaient complètement. Le jeune ouvrier venait de s’installer et son travail et son excellente conduite permettaient d’augurer pour lui un heureux avenir. Le terrible coup qui l’a frappé semblait devoir anéantir toutes ses espérances, mais ses camarades, les ouvriers en bijouterie de Perpignan, sont venus à son secours. Ils ont organisé une loterie dans laquelle sont de très beaux lots parmi lesquels… une magnifique parure de grenats fins composée d’un collier, d’une croix et d’une paire de pendants, une croix badine antique en grenats, une bague marquise et quelques autres lots remarquables…. Les lecteurs voudront s’associer à la pensée qui a guidé les ouvriers bijoutiers et leur viendront en aide …Un dépôt est établi chez M. Clément Thoubert, 15 rue des Trois rois et chez M. Velzy, bijoutier, rue Mailly, 50 ».

A cette période, bien qu’elle ait un caractère collectif, cette forme de solidarité demeure toutefois ponctuelle : il s’agit ici d’une loterie, destinée à couvrir un événement accidentel. Les accidents de l’existence, tels l’orphelinat, peuvent également donner lieu à une prise en charge momentanée, en particulier à une mise en apprentissage. En 1878, le bijoutier Barrera présente ainsi son ouvrier Alphonse Dès : « Ce jeune homme, âgé aujourd’hui de trente ans, me fut confié dès l’age de treize ans au moment où il venait de perdre ses parents, pour l’initier dans l’art de la Bijouterie ».

Au quotidien toutefois, bien que non exempts de paternalisme, les liens unissant patronat et ouvriers sont avant tout des liens de subordination. Ainsi, vers la fin des années 1870, les salaires ouvriers varient de 2,50 à 6,50 francs, représentant une moyenne de 10 heures de travail quotidien. Les apprentis gagnent de 1 à 1,70 francs s’ils sont nourris par le patron, plus s’ils prennent le repas à domicile. Le temps d’apprentissage est au minimum de trois ans et peut durer jusqu’à sept ans. Dans ces conditions, les liens temporaires établis entre patronat et classe ouvrière sont amenés à perdurer.

Ce contenu a été publié dans Bijouterie XXe s. roussillonnaise. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *